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Mission encre noire

Émission du 4 juin 2019

Mission encre noire Tome 26 Chapitre 311. Dans L'ombre du brasier de Hervé Le Corre paru en 2019 aux éditions Rivages/Noir, Les effarés de Hervé Le Corre paru en 2019 (réédition) aux éditions L'Éveilleur. La parution du troisième roman, réédité aux éditions L'Éveilleur, ainsi que le succès grandissant de son immense dernier livre Dans l'ombre du brasier, nous donne l'occasion d'accueillir Hervé Le Corre à Mission encre noire pour une généreuse entrevue fleuve. Paris, pendant les dix derniers jours de la Commune et Bordeaux et ses quartiers populaires sont au coeur de cette rencontre. Dans l'ombre du brasier, un roman implacable, noir, sauvage comme l'a été cette semaine sanglante, l'aboutissement tragique de plus de deux mois d'insurection au sein de la capitale française en 1871. Henri Pujols, la silhouette menaçante qui se perd dans la foule des grands boulevards à la fin de L'homme aux lèvres de saphir (Rivages/Noir), psalmodiant à voix basse de longs passages des Chants de Maldoror, réapparaît assis dans un canapé de l'atelier d'un photographe pornographe pour lequel il travaille à kidnapper des jeunes femmes dans la rue. Paris est sous les bombes des versaillais et l'ennemi prussien patiente aux portes de la ville, que l'armée nettoie les immeubles et les trottoirs des bataillons débraillés des communards. Cet immense roman est un portrait sanglant du petit peuple parisien meurtrie, l'histoire vivante des luttes des quartiers de la capitale, des hommes et des femmes montés à l'assaut d'un idéal à l'agonie ; le peuple veut prendre en main sa destinée:« Le peuple, disait la révolutionnaire Louise Michel, n'obtient que ce qu'il prend. » Extrait: «Dans une trouée, le soleil déjà bas les a éblouis de sa grande lueur cuivrée et ils ont rabattu les visières de leurs képis. Nicolas et le rouge sont redescendus vers la place où les hommes s'alignaient devant les cantines. Ils ont mangé un rata convenable préparé par deux femmes vêtues de noir, aux airs maussades, l'une petite et replète, l'autre élancée, presque maigre, qu a rappelé à Nicolas le soir de février où Caroline l'avait emmené écouter Louise Michel dans un club du XVIII ème. Était apparue à la tribune sa longue silhouette sombre et la salle avait explosé d,applaudissements joyeux que l'oratrice avait eu du mal à faire taire, un sourire timide aux lèvres, des yeux rieurs, qui, sitôt le silence revenu, avaient repris leur expression grave, leur acuité perçante.» Dans une deuxième partie de l'entrevue, Hervé Le Corre revient sur le troisième volet de sa trilogie bordelaise, sa région natale. Les Effarés paru en 1996 dans la Série noire, trois jeunes désoeuvrés se réfugient au quatorzième étage d'un immeuble abandonné de la Cité lumineuse, surnommé le bunker, dans le quartier ouvrier de Bacalan. Des braqueurs de matériel hi-fi deviennent, malgré eux, des ennemis publics, sous un cagnard subsaharien. Marion Ducasse, une femme policière inspectrice, enquête sur le braquage d'un camion qui a tourné au meurtre. Lâchée au milieu d'une meute machiste, Ducasse va prendre en charge l'investigation, au centre de laquelle se dresse, inexorablement, la Cité lumineuse. Quelques années plus tard, en 2004, Hervé Le Corre publie L'homme aux lèvres de saphir, un premier tournant dans l'oeuvre, qui se déroule loin de la Gironde. L'auteur rend un dernier hommage à un bâtiment et un quartier, chers aux souvenirs de son enfance, et qui illustrent la disparition progressive des classes populaires dans la sphère des villes. Hervé Le Corre, tel un photographe au Noir, excelle dans l'art d'ajuster les contrastes et les luminosités pour jouer avec l'équilibre de nos nerfs. Extrait: «L'homme frissonne. Il tire vainement sur le col de son tee-shirt. Les canettes vides roulent au fond de la coquille de noix à cause du clapot, et leurs chocs castagnent en écho dans sa cervelle congestionnée. Il cherche à tâtons s'il n'en resterait pas une, par hasard, qui aurait échappé à sa soif, parce qu'il sait de quoi il a besoin pour aller mieux. Tant pis. devant lui le pont d'Aquitaine tend son arc lumineux, où glisse un trafic permanent et silencieux. Tous ces cons qui roulent à cette heure. Même chose sur la rive droite, où la route est sur la berge. Il se rappelle qu'à l'époque où ils habitaient la Cité lumineuse, avant qu'on les vire, il passait des soirées à regarder la circulation des autos et des trains de l'autre côté, en bas des collines de Lormont. Il voyait luire les lueurs de la cimenterie de Poliet-et-Chausson, et flotter le panache grisâtre que crachait en permanence la grande cheminée. le fleuve était noir, et quand la marée montait, on entendait le remous rigoler doucement, et parfois un peu d'air plus frais, moins lourd que celui de la ville, accompagnant le mouvement.» Le chant de corbeau de Lee Maracle paru en 2019 aux éditions Mémoire d'encrier traduit par Joanie Demers. Ce livre est dédié «À toutes ces femmes qui ont combattu l'épidémie alors que le Canada ne se souciait pas de notre santé». Lee Maracle, qui est venu récemment à Montréal pour présenter cette première traduction de son livre en français, a mis trois jours à l'écrire pour participer à un concours. Depuis, le livre a connu un tout autre destin. Stacey, fille de Momma se rends régulièrement dans le monde des blancs pour étudier. Il ne lui reste que deux mois avant de diplômer, au prix de nombreuses brimades et sacrifices. Autant dire que l'épidémie de grippe asiatique qui décime son village tombe très mal. Nous sommes dans les années 50, en Colombie-Britannique, sur un île reliée au continent par un pont. Celia, la soeur de Stacey, voit d'un mauvais oeil cette nouvelle cette nouvelle contagion, elle, qui parle à Cèdre et Corbeau. Elle confirme une sombre prophétie: un monde s'apprête à être remplacer par un autre. Stacey va réapprendre les gestes et les coutumes qui, peu à peu, lui échappent, à fréquenter un monde qui l'isole et la rejette.  L'acculturation fait son chemin, malgré tout et le village du clan du loup n'y échappe pas. Ce roman est un bijou de sensibilité et de poésie. Il nous renseigne sur les conditions de vies difficiles des familles, qui pour beaucoup ont péri. L'accès fictionnel temporaire qui nous est donné à un territoire si fragile, en voie de disparaître est un trésor inestimable. La triste réalité des faits subsiste: l'autochtone reste considéré comme un immigrant sur ses propres terres. L'entendez-vous le chant de Corbeau ? Extrait:«Stacey était exténuée et son bras lui faisait terriblement mal, mais elle se sentait pleine d'optimisme. L'avenir. Ses projets s'étalaient devant elle par-delà les repères des saisons auxquels se référait toujours le reste des villageois. Pour eux, les projets se limitaient à se préparer pour la migration du saumon, à économiser en vue d'acheter un fusil de chasse ou pour les conserves l'année suivante. personne ne planifiait sur un horizon de quatre ans: ils étaient trop occupés à survivre. Or, à présent, dans leur village à eux, il y avait une jeune fille de dix-sept ans assez intelligente pour penser à l'avenir. C'était extraordinaire.»  

Feuille de route

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Mission encre noire 07 décembre
Émission du 6 décembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 397. Un homme et ses chiens par Marc Séguin paru en 2022 aux éditions Leméac. Que faut-il donc pour qu'un homme se dise presque heureux ? Dans sa vie, il a eu ses chiens, Mujo son premier, il avait sept ans, son confident. Easter, Goose et Maya suivront. Dès ses 4 ans, il a souhaité la fin du monde. Ne sachant trop quoi faire de cette euphorie soudaine, il détruit ses modèles complexes pour pouvoir les reconstruire. Plus tard, il fuira le monde et ses conventions à travers les drogues, puis les livres. Il aura connu l’amour, à plusieurs reprises, malgré sa sauvagerie. Sans cynisme, il constatera son incapacité à partager son quotidien bien longtemps. Ce qu'il cherche est plus grand que soi, une façon de vivre qui pourrait taire sa colère intérieure. Il restera à Anticosti plusieurs années, puis sur l’île aux Naufrages. Il deviendra guide de chasse, avec ses chiens, pour accompagner de riches américains, des français ou des anglais. Néanmoins, la question demeure: que faire de ses forces obscures qui le bousculent ? Comment apaiser ses rapports amoureux ? Marc Séguin nous présente le portrait tout en nuances d’un homme qui s’inscrit en rupture de la société. Lui qui aimerait tant ajouter un chapitre de bonheur véritable à l’histoire de sa vie, même s’il juge le quotidien définitivement trop triste. Pourtant si l’humanité court à sa perte, à quoi cela sert-il de vouloir encore aimer, pour de vrai, en grand, jusqu’à la douleur peut-être? Si par un ciel clair, il est encore possible de voir des étoiles filantes aujourd’hui, parfois elle nous attire comme un mauvais rêve, loin du vide. Pour nous signifier que nous ne sommes pas seul au monde. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire Marc Séguin.
60 min
Mission encre noire 30 novembre
Émission du 29 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 396. Les allongées par Jennifer Bélanger et Martine Delvaux paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Les deux autrices confessent être prise en otage par des douleurs et des fatigues chroniques, si brutales parfois, à vous laisser le souffle court. Comment témoigner de ce qui échappe au regard, de ce qui ne se partage pas,voire jamais ? À quoi ressemble le monde vu d’un lit, cet étrange objet, lieu grave s’il en est, lieu de naissance, de passion, de désir, de mort, de souffrance et aussi d’oubli. Car voilà, comment peux-t-on avoir une vie quand on la subit couchée? Martine Delvaux et Jennifer Bélanger s’entourent d’autres femmes, écrivaines, artistes, amies, mères, filles, amantes et soignantes pour rendre hommage à toutes celles qui plient sans doute un peu plus chaque jour sous le poids de leur plaies et blessures ; les accidentées, les insomniaques, les survivantes et qu’on invisibilise encore trop souvent. Les voix de ces femmes qui luttent, se rebellent, s’arc-boutent devant un monde qui préfère les reléguer aux rôles de paresseuses, d’hystériques ou de martyres cinglent les pages de ce court essai. Même si leurs corps les obligent à ralentir, les deux autrices ne renoncent surtout pas à redonner une voix à celles laissées pour mortes. Pour toute une famille élargie de résistantes, il reste le rêve et l’écriture d’autres récits, j’accueille, à Mission encre noire, Jennifer Bélanger et Martine Delvaux.
60 min
Mission encre noire 23 novembre
Émission du 22 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 395. J’étais un héros de Sophie Bienvenu paru en 2022 aux éditions Le Cheval d’août. Yvan, 62 ans et Miche, sa colocataire-sa blonde, se retrouvent démuni.e.s aux urgences d’un hôpital pour recevoir un diagnostic sans appel. Yvan a passé sa vie à se détruire, Miche aussi d’ailleurs, étant devenue alcoolique comme lui. Il est tout seul, il l’a toujours été, sa vie aura été ça : un amas d’affaire ratées et d’occasions perdues. Ça fait 20 ans qu’il n’a pas revue Gabrielle, sa fille. Il ne lui a même jamais donner son numéro de téléphone.Que pourraient-ils se dire de toute manière? Pourtant dans le temps, il était son héros. C'est lui qui le dit. Son rire d'enfant faisait de lui un surhomme. Heureusement, aujourd'hui il lui reste encore un chat trouvé dans les poubelles et Miche qui l'ennuie. Il fait ce qui lui tente l'animal, il est libre, il est maître de son destin. Ça lui plaît ça, à Yvan. Rien n'est moins vrai. Sophie Bienvenu nous dévoile le portrait d’un homme blanc, d’un baby boomer, prisonnier des rôles qu’il s’est imposé. Il vient d'une génération qui se sait malhabile avec les émotions et qui préfère encore les silences ou les baisers de feu de l’ivresse pour colmater les cicatrices du passé. Enfant quand on a le goût de pleurer devant Lassie, de jouer avec les petites filles à la poupée, et, plus tard, de vouloir porter des pantalons rouges comme Bowie, ça marque quand même son homme. Que reste-t-il de tout cela au final? Comment enfin prendre la parole avec sa fille? Peut-on pardonner après si longtemps? Je reçois Sophie Bienvenu, ce soir à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 09 novembre
Émission du 8 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36, Chapitre 394. Niagara par Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Ici nous sommes en présence de la voix de la narratrice au pied des célèbres chutes, l'eau et ses remous se déchaînent. Elle guette encore au bord du parapet l’apparition improbable de la silhouette fantomatique de sa mère, morte depuis belle lurette, dérivant au long des rives des grands fleuves du continent américain. Car voilà, ce deuil, éveille en elle, un rêve insensé, que ce soit à partir des photos de son enfance, lors d’une première visite à Niagara en 1964, ou bien à la suite d'une citation de marguerite Duras, la narratrice voit encore et encore, le corps aimant disparaître sous les écumes et rejoindre les berges du Mississippi. Marquée par le séisme provoqué par cette perte, elle y puise une inspiration inédite, qui, sur le modèle de François-René de Châteaubriant, ou est-ce peut-être Flaubert, Mallarmé ou même Jeff Buckley et bien d’autres, lui permet d’élaborer de véritables Mémoires d’outre-tombe. Se dessine, alors, sous la plume espiègle et badine de l’autrice, un portrait tout aussi jouissif que douloureux, de ce qui fonde, il faut bien se l’avouer, un héritage littéraire. Plouf, donc, sillonnant le territoire nord américain des songes, Catherine Mavrikakis s’amuse à dégringoler ces chutes, car c’est à Niagara qu’elle contracté la maladie de la mort. De quoi s’agit-il au juste? J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Catherine Mavrikakis.
60 min
Mission encre noire 18 octobre
Émission du 18 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 393. Candy par Benjamin Gagnon Chainey paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Lorsque la nuit se drape de faux-semblants, Candy, drag queen, multiplie les numéros au cabaret Rocambole à Villecresnes. Dans sa loge, elle se prépare à la gloire, à danser et à chanter en pleine lumière. Thierry meurt un peu plus chaque nuit pour laisser éclore la glamoureuse étoile qui naît sous les yeux ébahis de la foule en délire. Et si le cabaret commence à bander, c’est pour son Mathurin qu’elle tremble. C’est pour lui qu’elle chante, c’est pour lui qu’elle va fuir ces bas-fonds. Mathurin et sa femme fatale vont se déguiser en courant d’air et mettre le cap sur le paradis en talons haut. Une ombre distordue les attend, cependant, au détour d’une rue. Une hideuse vieillarde, porteuse de malheur, qui ricane et toussote. Ils commettront leur premier meurtre. Déclarés coupables, les amants briseront pourtant leur chaîne et ils s’uniront pour le pire car l’enfer est pavé de bonnes intentions. Conte d’amour pour adultes et vacciné.e.s, cette cavale du tonnerre déroule son tapis rouge avec style et emphase, dans les plis duquel, il se pourrait, que l’éternelle Divine de Jean Genet se prenne les pieds. Candy, la vie contée d’une Notre-Dame-des-Fleurs enceinte d’un fruit d’amour impossible, devient un fascinant lieu de passages entre les identités, la réalité et la fantasmagorie. En route, donc, pour l’Eden. Faites gicler strass et paillettes, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Benjamin Gagnon Chainey.
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