Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 6 décembre 2022

Mission encre noire Tome 36 Chapitre 397. Un homme et ses chiens par Marc Séguin paru en 2022 aux éditions Leméac. Que faut-il donc pour qu'un homme se dise presque heureux ? Dans sa vie, il a eu ses chiens, Mujo son premier, il avait sept ans, son confident. Easter, Goose et Maya suivront. Dès ses 4 ans, il a souhaité la fin du monde. Ne sachant trop quoi faire de cette euphorie soudaine, il détruit ses modèles complexes pour pouvoir les reconstruire. Plus tard, il fuira le monde et ses conventions à travers les drogues, puis les livres. Il aura connu l’amour, à plusieurs reprises, malgré sa sauvagerie. Sans cynisme, il constatera son incapacité à partager son quotidien bien longtemps. Ce qu'il cherche est plus grand que soi, une façon de vivre qui pourrait taire sa colère intérieure. Il restera à Anticosti plusieurs années, puis sur l’île aux Naufrages. Il deviendra guide de chasse, avec ses chiens, pour accompagner de riches américains, des français ou des anglais. Néanmoins, la question demeure: que faire de ses forces obscures qui le bousculent ? Comment apaiser ses rapports amoureux ? Marc Séguin nous présente le portrait tout en nuances d’un homme qui s’inscrit en rupture de la société. Lui qui aimerait tant ajouter un chapitre de bonheur véritable à l’histoire de sa vie, même s’il juge le quotidien définitivement trop triste. Pourtant si l’humanité court à sa perte, à quoi cela sert-il de vouloir encore aimer, pour de vrai, en grand, jusqu’à la douleur peut-être? Si par un ciel clair, il est encore possible de voir des étoiles filantes aujourd’hui, parfois elle nous attire comme un mauvais rêve, loin du vide. Pour nous signifier que nous ne sommes pas seul au monde. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire Marc Séguin.

ExtraitBelle fille Easter ! Donne !» Et la chienne ouvrait la gueule pour laisser tomber sa quête, à bout de souffle, couverte de vase ou mouillée jusqu'au os, prête à recommencer. Avec dans les yeux un appel passionné et inconditionnel. Elle retournait s'asseoir au pied de l'homme à scruter le ciel et les moindres mouvements de son monde. Capable de déceler la nervosité des chasseurs. Aux aguets de tout possible. Avec l'idée certaine que son comportement appelait les oiseaux à tomber du ciel pour faire plaisir à son maître. La chienne regardait les yeux des guides et sentait l'exaltation. « Y a plus de vérités dans le désir que dans les faits», avait répondu Clara quand l'homme lui avait demandé ce qu'elle aimait le plus de son travail d'écriture. La femme préférait l'écriture du livre à son existence personnelle. Easter avait les yeux de Clara Sauvage en cette journée grise d'octobre. Pâles et gris, presque bleus. Du mauvais temps demain encore. Un chasseur avait un soir dit à l'homme qu'il aurait souhaité une seule fois dans sa vie être regardé comme sa chienne le regardait. « Toutes races confondues.» »

L’angoisse d’être à jeun par Sara Robinson paru en 2022 aux éditions Triptyque. Esmeralda est constamment défoncée. Né de l’autre côté de la rivière des outaouais, elle vit dans une maison du Vieux-Hull avec sa grand-mère et sa tante handicapée. À force de consommer trop d’amphétamines, l’autrice endosse le personnage de Notre-Dame de Paris. Souffrant d’un syndrome de la personnalité limite, cette Esmeralda 2.0 décide d’écrire un roman pour avoir l’impression d’exister. Mais quoi écrire? Elle tape fort sur le clavier, Bukowski en fond d’écran, «find what you love and let it kill you». Décidément très attachée à l'oeuvre de Victor Hugo, Esmeralda s’attarde à parodier sa cour des miracles, ses protagonistes, pour exprimer avec panache, ses angoisses d’existence, ses nuits blanches, ses histoires d’amour fuckées, et l’héritage douloureux d’une adolescence vécue aux côté d’une mère intrusive. C’est avec un humour dévastateur que la narratrice nous conte sa passion amoureuse à sens unique pour Phoebus, un barman de seize ans son aîné, ses relations quasi incestueuses avec son meilleur ami Quasimodo, comme ses tentatives pour faire chavirer le cœur chaste de Frollo. Si sa démarche peut paraître puérile et pleine de poésie de cul, c’est dans le texte, attachez vos tuques, le roman se lit ligoté à la verve magistrale de sa narratrice, un verre de fort dans une main, un pétard à mèche allumé dans l’autre. Ça s’écoute fort, bien calé dans son fauteuil. Tu m’aimes-tu et boom boom de Richard Desjardins qui vibre quelque part dans la pièce. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sara Robinson.

ExtraitSi vous avez lu Notre-Dame de Paris, vous vous rappelez sans doute le chapitre fucking plate que Victor Hugo a intitulé «Paris à vol d'oiseau». C'est pénible, il faut énormément de volonté et pas grand-chose d'important à gérer pour passer à travers. C'est long. C'est très, très long. C'est sûr que blabla ils n'avaient pas le cinéma à l'époque pour permettre de visualiser le décor dans lequel se déroulent les événements, blabla il faut tout remettre dans son contexte historique sinon c'est laid. Je soupçonne néanmoins Victor d'avoir signé pour un certain nombre de pages et d'avoir rajouté le chapitre «Paris à vol d'oiseau» APRÈS que presque tous les personnages sont morts, tellement c'est dull. Anyways, il décrit avec une minutie incontestable le Paris médiéval dans lequel évolueront les tragiques événements et, j'en conviens, ça mérite d'être mentionné, ne serait-ce que sur le plan historique. Mais tabarnac, est-ce réellement nécessaire de décrire la grosseur des corniches, la manières dont les vignes se rattachent aux barreaux de fer forgé encadrant les escaliers qui montent vers une façade de marbre? Qu'un oiseau ait été, à ce moment-là, en train de pondre un oeuf dans une de ces bien baroques corniches pendant qu'un villageois avec trois dents dans la yeule se crossait dans une chaumière aux murs de pierre, est-ce qu'on a besoin de le savoir ? Non. On s'en crisse.»

Feuille de route

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Mission encre noire 27 juin
Émission du 27 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 412. Troubles, nos ombres un collectif dirigé par Jennifer Bélanger paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. La colère ne se tarit pas dixit l’autrice. De l’élaboration de ce projet à l’été 2020, à son achèvement en 2022, Safia Nolin deviendra la bête noire des réseaux sociaux malgré son récit d’agressions subies de la part de Maripier Morin, la montée de la droite aux États-Unis et celles des conservatismes en général dans le monde, dès lors menace les droits fondamentaux des personnes minorisées. Les textes réunis ici par Jennifer Bélanger offre un espace sécuritaire à 11 artistes non seulement pour témoigner de l’urgence de dire les dangers qui guettent les personnes LGBTQ2IA+, mais également pour nous partager des récits de vie poignants. Qu’il s’agisse d’amitié, de rapports amoureux, de désirs, de colère, de résistance, Étienne Bergeron, Julie Bosman, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Martine Delvaux, Sandrine Galand, Maude Lafleur, Mael Maréchal, Roxane Nadeau, Mélanie O’Bomsawin et Justina Uribe se réunissent sous l’ombre lumineuse et créatrice de Jennifer Bélanger, qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 06 juin
Émission du 6 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 411. Mise en forme par Mikella Nicol paru en 2023 aux éditions Le Cheval D’août. À la suite d’une rupture amoureuse encore fraîche et de l’aménagement en catastrophe chez un ami, la narratrice se jette à corps perdu dans l’entraînement physique. Malgré que son corps deviennent de plus en plus performant, la dépression gagne du terrain, il y a toujours quelque chose qui cloche. Ce qui s’impose très vite comme la seule activité encore valable à ses yeux va devenir un sujet de réflexion tenace. Et si, en dépit des injonctions bénéfiques assénées par les vidéos de fitness, les programmes de remises en forme n’étaient que la partie émergée d’une problématique plus vaste. Pour l’autrice l’idée jaillit en croisant un inconnu malveillant dans la rue. Le lien qui unit violence et beauté ne fait plus aucun doute. Ou comment l’industrie du fitness, entre autre, confirme la main mise d'une esthétique patriarcale, coloniale et fossile, sur le discours ambiant, dixit Paul B. Preciado. On peut se demander, ici, comment un tel système, qui vise la soumission collective totale des corps, se met-il en place ? Les femmes en particulier, tels des objets inoffensifs, se doivent de collaborer, bien entendu, à leur corps défendant, à des modèles hétérosexuels astreignants. Ce livre à mi-chemin de l’essai et du récit autobiographique laisse libre court à une parole qui refuse de rentrer dans le moule. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mikella Nicol.
60 min
Mission encre noire 23 mai
Émission du 23 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l’ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd’hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l’auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d’un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l’annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l’âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n’a fait que mentir. À l’époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l’auteur nous entraîne dans un étrange roman d’aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s’interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier.
60 min
Mission encre noire 16 mai
Émission du 16 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 409. Exercices de joie par Louise Dupré paru en 2023 aux éditions du Noroît. Dernier fascicule du triptyque traitant des possibilités du poétique face à l’horreur et à la détresse entamé avec Plus haut que les flammes en 2010 puis La main hantée en 2016, Exercices de joie présente la poète fébrile, les côtes friables, hantée par des rêves qui la réveillent la nuit. Toutefois Louise Dupré n'abdique pas pour autant. Elle revendique le désir de se tenir debout devant un paysage en ruines quitte à s'accrocher à ses mots comme à une bouée. Car, s'il est peut-être vain de vouloir comprendre l’envers du monde quand le temps fuit entre nos doigts, pourquoi ne pas apprivoiser les douleurs, en oublier la piqûre de l’aiguille. L’écriture, telle une veine fragile qui palpite encore, se mue en écorce revêche, pour combattre en prose et en vers. Si la suie de Birkenau ou de Auschwitz la poursuit encore, si l’ombre de la main coupable du second recueil habite encore les pages, les poèmes explorent ici une autre voie, plus apaisée. Celle de la douceur, celle de la joie, que l'autrice défini comme cet instant précieux et rare ou le cœur module ses élans. Il est du devoir de la poète de donner à voir cette faible clarté bienveillante qui conduit sa main. Certes, le cercle des poètes disparus s’agrandit un peu plus chaque jour, le monde chancelle ; non, elle ne vacillera pas ; l’autrice appartient à la généalogie des femmes qui n’ont jamais renoncé. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Louise Dupré.
60 min
Mission encre noire 02 mai
Émission du 2 mai 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d’ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu’était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l’usine Weston. Elle, c’est Val, sa future collègue que l’adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d’être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d’un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu’à travers le miroir aveugle de l’écran noir d’un cellulaire. Mathieu n’a rien de différent des autres, si ce n’est l’élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l’aventure épisodique, très attachante, d’un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay.
60 min