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Mission encre noire

Émission du 30 janvier 2018

Mission encre noire Tome 22 Chapitre 272 Les yeux tristes de mon camion de Serge Bouchard paru en 2017 aux éditions Boréal collection Compact. Serge Bouchard, de cette voix profonde et unique, fait couler nos rivières, celle du Lièvre et celle du Loup, celles là qui ont une belle robe rouge, l'Olomane et la Romaine des Innus. Plus loin, il s'attarde sur les courses des caribous dans la poudreuse. Celle-ci se fait plus rauque lorsqu'elle hante les montagnes rugueuses de la Sierra Nevada, errante parmi les fantômes des centaines de nations originales qui vivaient là - Miwoks, Yuroks, Karoks, Mohaves... Elle gagne en agilité et en souplesse à l'évocation de ces hommes et de ces femmes qui ont fait l'amérique, ces canadien-e-s français-e-es qui ont couru à la découverte de ces pays fabuleux. Cette grande voix solide au timbre plus corsé s'accote aux souvenirs inoubliables de la tête ronde d'un Mack modèle B, de la trame sonore des matchs de baseball les soirs d'été, du Nebraska, de Santa Monica, des oncles et des tantes d'Amérique, et bien d'autres. Serge Bouchard, anthropologue, auteur, animateur, conteur formidable, nous raconte Son Amérique, il a voyagé sans relâche pour ça, et c'est lui qui chauffe. Il est notre invité à Mission encre noire. Extrait: « Je me souviens de longues soirées d'été, heures de méditation et de contemplation, seul sur la plage, comme une chose échouée, quelque part entre Migan et Longue-Pointe-de-Mingan. J'écoutais la tranquillité du onde, assis sur le sable fin. Des macareux arctiques, que les pêcheurs appelaient des « perroquets », volaient en groupes au fil de l'eau. Oui, les oiseaux de mer étaient au rendez-vous, istorlets et moyaks, canards noirs, goélands anglais, outardes, je voyais même parfois des balbuzards. Mais cela n'étais rien encore. Il arrivait qu'une orque épaulard surgisse hors de l'eau, comme un missile lisse et métallique ; elle s'élevait dans un sifflement irréel et majestueux avant de retomber avec fracas dans l'eau noire et calme de l'océan tranquille. J'étais conscient d'assister aux instants mythiques de la vraie nature du temps. Des petits rorquals se montraient aussi, en bandes, comme les phoques apeurés. Bientôt le soleil allait se coucher, disparaître derrière moi, il descendait dans les épinettes pour aller faire le beau de l'autre côté de la terre. J'avais la jeunesse et la paix, deux choses qui vont bien ensemble, quoi qu'on en dise. Derrière moi, la forêt chétive, la mémoire boréale, le pays des Indiens. Devant moi, la mer. » Par le vent pleuré de Ron Rash paru en 2017 aux éditions du Seuil. 1969 à Sylva, une petite ville des Appalaches, deux frères partent pêcher un dimanche après la messe. L'écho de la guerre du Vietnam et des émeutes de Berkeley appartiennent encore à une autre planète. Et pourtant cette silhouette qui jaillit des eaux de la Panther Creek, Ligeia Mosely, une sirène qui n'avait pas regagné l'océan, va bouleverser, le temps d'un été, la vision du monde. Au son du Grateful Dead, des Doors, de Jefferson Airplane, la jeune femme amène un vent de plaisirs et de liberté, qui emportera Bill et Eugene, au prise avec un grand-père tuteur tyrannique, dans un tourbillon macabre. Quarante six ans plus tard, la découverte de petits ossements blancs dans des lambeaux de bâche bleue, déposés par la rivière, rappelle les frères à leur passé. Ron Rash se tient debout face à la mémoire et tourne son regard vers un sud en pleine révolution culturel, Par le vent pleuré est un superbe roman noir. Extrait: « À San Francisco, le Summer of Love, l'été de l'amour, a eu lieu en 1967, mais il a fallu deux ans pour qu'il atteigne le petit monde provincial des Appalaches. Sur l'autoroute, en février, on a aperçu un hippie au volant d'un minibus bariolé, un événement dûment signalé dans le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture était quelque chose qu'on ne voyait qu'à la télévision, tout aussi exotique qu'un pingouin ou un palmier nain. En ce mois de juin, les seuls petits signes de changement étaient deux ou trois étudiants de l'université de Caroline du Nord revenus de Chapel Hill pourvus de chevelures plus broussailleuses. Notre grand-père ne permettait pas à nos cheveux de toucher notre col, mais de toute façon Bill ne les aurait pas laissés pousser.» L'amour est une maladie ordinaire de François Szabowski paru en 2017 aux éditions Le Tripode. Francois est heureux en amour. Il a rencontré son âme soeur. Leur entente est parfaite. Tandis que Marie s'endort contre lui dans le petit studio de la rue des Pyrénées à Paris, il arrête de se voiler la face: elle est tombée amoureuse de lui. Il n'a plus le choix, il lui faut disparaître. Pour que leur amour reste à son apogée, il achète une bouteille de vodka et une grande tablette d'anxiolytique et se précipite vers le canal. Cynique farce, ce journal d'un goujat ordinaire est une lecture divertissante, qui vous fera réagir à plus d'un titre. Cet égoïsme sans limite dissimule une réflexion plus sombre sur l'amour. L'auteur fait preuve d'audace et d'originalité pour nous surprendre avec une observation acide sur la vie moderne. Extrait: « Et puis, à vrai dire, je ressentais aussi comme une sorte de seconde jeunesse à me transformer à nouveau. Après mon costume de corbeau surmonté d'un oeuf dur et d'un bouc, j'étais maintenant un petit feu follet de couleurs avec ces chemises à carreaux, ces pantalons serrés, ces lunettes à grosses monture noire qui barraient mon visage, et cette barbe qui recouvrait mes joues. Je continuais à porter la perruque car mes cheveux n'avaient pas encore suffisamment repoussé, mais d'ici peu de temps j'allais devenir tout à fait un nouvel homme. J'avais une chance inouïe. La plupart des gens choisissent généralement l'identité qui sera la leur pendant leur vie entre l'adolescence et leurs 25-30 ans. Là, durant cette période, ils expérimentent différents styles, différents modes de vie, de pensée. Ils pourront être punks, hippies, dandys ou métalleux, gauchistes ou réactionnaires. Mais à partir de 30 ans, tout se fige. Ils font un choix, et ne s'en éloignent jamais vraiment beaucoup. Moi, j'avais la possibilité de prolonger cette jeunesse, cet esprit d'invention.»  

Feuille de route

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Mission encre noire 07 décembre
Émission du 6 décembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 397. Un homme et ses chiens par Marc Séguin paru en 2022 aux éditions Leméac. Que faut-il donc pour qu'un homme se dise presque heureux ? Dans sa vie, il a eu ses chiens, Mujo son premier, il avait sept ans, son confident. Easter, Goose et Maya suivront. Dès ses 4 ans, il a souhaité la fin du monde. Ne sachant trop quoi faire de cette euphorie soudaine, il détruit ses modèles complexes pour pouvoir les reconstruire. Plus tard, il fuira le monde et ses conventions à travers les drogues, puis les livres. Il aura connu l’amour, à plusieurs reprises, malgré sa sauvagerie. Sans cynisme, il constatera son incapacité à partager son quotidien bien longtemps. Ce qu'il cherche est plus grand que soi, une façon de vivre qui pourrait taire sa colère intérieure. Il restera à Anticosti plusieurs années, puis sur l’île aux Naufrages. Il deviendra guide de chasse, avec ses chiens, pour accompagner de riches américains, des français ou des anglais. Néanmoins, la question demeure: que faire de ses forces obscures qui le bousculent ? Comment apaiser ses rapports amoureux ? Marc Séguin nous présente le portrait tout en nuances d’un homme qui s’inscrit en rupture de la société. Lui qui aimerait tant ajouter un chapitre de bonheur véritable à l’histoire de sa vie, même s’il juge le quotidien définitivement trop triste. Pourtant si l’humanité court à sa perte, à quoi cela sert-il de vouloir encore aimer, pour de vrai, en grand, jusqu’à la douleur peut-être? Si par un ciel clair, il est encore possible de voir des étoiles filantes aujourd’hui, parfois elle nous attire comme un mauvais rêve, loin du vide. Pour nous signifier que nous ne sommes pas seul au monde. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire Marc Séguin.
60 min
Mission encre noire 30 novembre
Émission du 29 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 396. Les allongées par Jennifer Bélanger et Martine Delvaux paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Les deux autrices confessent être prise en otage par des douleurs et des fatigues chroniques, si brutales parfois, à vous laisser le souffle court. Comment témoigner de ce qui échappe au regard, de ce qui ne se partage pas,voire jamais ? À quoi ressemble le monde vu d’un lit, cet étrange objet, lieu grave s’il en est, lieu de naissance, de passion, de désir, de mort, de souffrance et aussi d’oubli. Car voilà, comment peux-t-on avoir une vie quand on la subit couchée? Martine Delvaux et Jennifer Bélanger s’entourent d’autres femmes, écrivaines, artistes, amies, mères, filles, amantes et soignantes pour rendre hommage à toutes celles qui plient sans doute un peu plus chaque jour sous le poids de leur plaies et blessures ; les accidentées, les insomniaques, les survivantes et qu’on invisibilise encore trop souvent. Les voix de ces femmes qui luttent, se rebellent, s’arc-boutent devant un monde qui préfère les reléguer aux rôles de paresseuses, d’hystériques ou de martyres cinglent les pages de ce court essai. Même si leurs corps les obligent à ralentir, les deux autrices ne renoncent surtout pas à redonner une voix à celles laissées pour mortes. Pour toute une famille élargie de résistantes, il reste le rêve et l’écriture d’autres récits, j’accueille, à Mission encre noire, Jennifer Bélanger et Martine Delvaux.
60 min
Mission encre noire 23 novembre
Émission du 22 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 395. J’étais un héros de Sophie Bienvenu paru en 2022 aux éditions Le Cheval d’août. Yvan, 62 ans et Miche, sa colocataire-sa blonde, se retrouvent démuni.e.s aux urgences d’un hôpital pour recevoir un diagnostic sans appel. Yvan a passé sa vie à se détruire, Miche aussi d’ailleurs, étant devenue alcoolique comme lui. Il est tout seul, il l’a toujours été, sa vie aura été ça : un amas d’affaire ratées et d’occasions perdues. Ça fait 20 ans qu’il n’a pas revue Gabrielle, sa fille. Il ne lui a même jamais donner son numéro de téléphone.Que pourraient-ils se dire de toute manière? Pourtant dans le temps, il était son héros. C'est lui qui le dit. Son rire d'enfant faisait de lui un surhomme. Heureusement, aujourd'hui il lui reste encore un chat trouvé dans les poubelles et Miche qui l'ennuie. Il fait ce qui lui tente l'animal, il est libre, il est maître de son destin. Ça lui plaît ça, à Yvan. Rien n'est moins vrai. Sophie Bienvenu nous dévoile le portrait d’un homme blanc, d’un baby boomer, prisonnier des rôles qu’il s’est imposé. Il vient d'une génération qui se sait malhabile avec les émotions et qui préfère encore les silences ou les baisers de feu de l’ivresse pour colmater les cicatrices du passé. Enfant quand on a le goût de pleurer devant Lassie, de jouer avec les petites filles à la poupée, et, plus tard, de vouloir porter des pantalons rouges comme Bowie, ça marque quand même son homme. Que reste-t-il de tout cela au final? Comment enfin prendre la parole avec sa fille? Peut-on pardonner après si longtemps? Je reçois Sophie Bienvenu, ce soir à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 09 novembre
Émission du 8 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36, Chapitre 394. Niagara par Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Ici nous sommes en présence de la voix de la narratrice au pied des célèbres chutes, l'eau et ses remous se déchaînent. Elle guette encore au bord du parapet l’apparition improbable de la silhouette fantomatique de sa mère, morte depuis belle lurette, dérivant au long des rives des grands fleuves du continent américain. Car voilà, ce deuil, éveille en elle, un rêve insensé, que ce soit à partir des photos de son enfance, lors d’une première visite à Niagara en 1964, ou bien à la suite d'une citation de marguerite Duras, la narratrice voit encore et encore, le corps aimant disparaître sous les écumes et rejoindre les berges du Mississippi. Marquée par le séisme provoqué par cette perte, elle y puise une inspiration inédite, qui, sur le modèle de François-René de Châteaubriant, ou est-ce peut-être Flaubert, Mallarmé ou même Jeff Buckley et bien d’autres, lui permet d’élaborer de véritables Mémoires d’outre-tombe. Se dessine, alors, sous la plume espiègle et badine de l’autrice, un portrait tout aussi jouissif que douloureux, de ce qui fonde, il faut bien se l’avouer, un héritage littéraire. Plouf, donc, sillonnant le territoire nord américain des songes, Catherine Mavrikakis s’amuse à dégringoler ces chutes, car c’est à Niagara qu’elle contracté la maladie de la mort. De quoi s’agit-il au juste? J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Catherine Mavrikakis.
60 min
Mission encre noire 18 octobre
Émission du 18 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 393. Candy par Benjamin Gagnon Chainey paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Lorsque la nuit se drape de faux-semblants, Candy, drag queen, multiplie les numéros au cabaret Rocambole à Villecresnes. Dans sa loge, elle se prépare à la gloire, à danser et à chanter en pleine lumière. Thierry meurt un peu plus chaque nuit pour laisser éclore la glamoureuse étoile qui naît sous les yeux ébahis de la foule en délire. Et si le cabaret commence à bander, c’est pour son Mathurin qu’elle tremble. C’est pour lui qu’elle chante, c’est pour lui qu’elle va fuir ces bas-fonds. Mathurin et sa femme fatale vont se déguiser en courant d’air et mettre le cap sur le paradis en talons haut. Une ombre distordue les attend, cependant, au détour d’une rue. Une hideuse vieillarde, porteuse de malheur, qui ricane et toussote. Ils commettront leur premier meurtre. Déclarés coupables, les amants briseront pourtant leur chaîne et ils s’uniront pour le pire car l’enfer est pavé de bonnes intentions. Conte d’amour pour adultes et vacciné.e.s, cette cavale du tonnerre déroule son tapis rouge avec style et emphase, dans les plis duquel, il se pourrait, que l’éternelle Divine de Jean Genet se prenne les pieds. Candy, la vie contée d’une Notre-Dame-des-Fleurs enceinte d’un fruit d’amour impossible, devient un fascinant lieu de passages entre les identités, la réalité et la fantasmagorie. En route, donc, pour l’Eden. Faites gicler strass et paillettes, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Benjamin Gagnon Chainey.
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