Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 29 mai 2018

Mission encre noire Tome 23 Chapitre 284 Que la guerre est jolie de Christian Roux paru en 2018 aux éditions Rivages. Guillaume Apollinaire publie le poème «Merveille de la guerre» dans Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), qui se révèle un concentré de noirceur lumineuse qui confond la Grande guerre, même si elle est horrible, dans sa puissance lyrique. C'est un des tour de force de ce roman de Christian Roux, révéler le sens tragique de la guerre, ici, au coeur du territoire français. Il ne s'agit pas de terrorisme, soyons clair. Non, cette guerre s'insère, vicieusement, dans notre quotidien. Elle concerne, soudainement, tout le monde. Charles Caspiani, maire depuis 20 ans de Larmont, une petite ville située à une heure de Paris veut livrer un quartier populaire aux mains d'un conglomérat d'entrepreneurs. Pour cela tous les moyens sont bons: Mercenaire, truands, pyromane, dealers etc...Les habitants ne voient pas les choses de la même manière. Un collectif d'artistes en tout genre squattent l'ancienne usine aux structures métalliques datant du début du vingtième siècle. Ce lieu va devenir le catalyseur des affrontements au coeur même de l'agglomération. Que cette guerre est jolie, elle n'épargne personne. Le monstre engendré par l'avidité du maire a faim, les personnages complexes et attachants de Christian Roux ouvrent de longues bouches pâles. Ils vous invitent à partager le tragique festin de ce roman aux relents prémonitoires.  Extrait: «L'Usine est occupée par des artistes peintres, des plasticiens, quelques musiciens, mais le pilier auquel tous s'accrochent, c'est la compagnie À tout prendre. Elle est composée de trois comédiens, trois comédiennes, deux techniciens-régisseurs-décorateurs-sonorisateurs-créateurs de lumières et d'un metteur en scène, Bernard Salmon. Ce dernier, originaire de Larmon, lorgnait depuis longtemps l'Usine Vinaigrier, tout en n'osant pas franchir le pas de l'occupation. Jusqu'en 2003, année où la compagnie, comme des centaines d'autres, a fait grève à Avignon pour sauvegarder le régime de l'intermittence du spectacle. Malgré une mobilisation sans précédent, qui a conduit à l'annulation de nombre de prestigieux festivals, trahis par les syndicats, les artistes et les techniciens du spectacle vivant ont perdu. Mais contrairement à beaucoup d'autres, bien qu'exsangue, la compagnie À tout prendre a survécu à l'épreuve. Et elle en est ressortie déterminée à défendre un théâtre militant. Un théâtre qui s'empare, et non pas qui quémande. Bernard Salmon se montrait particulièrement virulent. À l'époque, il répétait en boucle: « Dès lors qu'elles ne vous respectent pas, les institutions sont faites pour être violées.» Plus jamais seul de Caryl Férey paru en 2018 aux éditions Gallimard dans la collection Série noire. Caryl Férey tient sans doute son Pierrot le fou, dans ce personnage de Mc Cash, cette gueule de pirate, ancien flic, borgne et libertaire. Déjà croisé dans Plutôt crever (Série noire) et La jambe gauche de Joe Strummer (Folio Policier), l'homme n'a pas dérogé à ses bonnes habitudes: NO FUTURE. Si ce n'était la présence d'Alice. Sa fille, qu'il récupère à la sortie du collège, pour les vacances. À peine débarqués en rade de Brest, l'annonce de la mort en mer, présumée, de son vieux pote Marco et de son ex-femme, va sérieusement entamer le programme des réjouissances. Mc cash enquête et il déteste ça. Élevé à rendre coups pour coups, l'ex policier, met le cap sur la Grèce. De toute la série, Plus jamais seul, est sans doute l'un des plus réussis. Pour riposter à un monde malade et désespérant, Caryl Férey allie cynisme, humour brut, amitié fraternelle et ultra violence. Mc Cash cassera forcément toute la porcelaine sur son passage, plus amer que jamais, le héros tendre au coeur dur vous réserve un saudade bien senti. Extrait: « Je te préviens, je suis nul en gosses, avait-il dit. Alice avait haussé les épaules-comme si elle était bonne en parents... Enfin, en six mois ils avaient appris à se connaître, et s'il ne ressemblait à aucun père, Alice l'aimait comme il était, bougon, comique, désabusé, grand coeur, une sorte de montagne russe interdite au moins de treize ans. Mc Cash composait avec la partition qu'il avait entre les mains ; cette gamine ne s'exprimait pas avec un débit de mitraillette et des expressions incompréhensibles comme les filles de son âge, faisant preuve d'une maturité qu'il découvrait au fil des jours. Lui qui n'avait pas de prénom ne savait pas comment l'appeler: «ma puce» ça faisait vraiment minus, «mon chaton» c'était déjà pris, «moucheron» ça lui aurait pas plu, le reste des animaux il s'en battait l'oeil. Va pour Alice.» Offshore de Petros Markaris paru en 2017 aux éditions du Seuil dans la collection Cadre noir. Nous restons en Grèce, le commissaire Charitos, héros récurrent d'une dizaine de romans de Petros Markaris, a traversé la crise comme il peut. Sa femme, Adriani, cordon bleu reconnu, a su accommoder les restes pour faire rentrer les petits plats dans les grands. Oui, vous le trouvez aussi assez étonnant, il se peut que la crise soit devenu un vieux souvenir! Les Mercedes et les Jeep ne se font plus rares, les athéniens fréquentent de nouveau les restaurants et surtout les embouteillages monstres de la capitale refont surface. C'est un peu trop soudain pour notre fin limier. Ce que confirme une étrange vague de meurtres qui survient à Athènes, Charitos ne peut admettre que les assassins soient si facile à appréhender. Pourquoi sa nouvelle hiérarchie s'obstine-t-elle à classer si rapidement le dossier ? Y-a-t-il un lien avec le nouveau parti au pouvoir ? L'économie grecque est à vendre, et ça, Petros Markaris ne peut l'admettre. Offshore est un polar efficace qui apporte un éclairage aguerri des nouveaux mécanismes qui se mettent en place en Europe, au mépris des droits les plus fondamentaux. Ni de droite, ni de gauche, tous et toutes pour le fric ! Ça vous rappelle quelque chose ? Extrait: «Le mystère a duré près d'un mois, jusqu'à la première conférence de presse. On a vu alors sur l'écran un groupe de politiciens quadragénaires nous annonçant la fondation d'un nouveau parti. ETSI n'était cependant pas issu de la scission d'un parti existant, comme il arrive en général. Ces quadras avaient quitté tous les partis pour fonder le leur. Ils déclaraient n'être séparés par aucun désaccord idéologique, ceux-ci ayant d'ailleurs perdu toute signification, mais qu'ils étaient unis par un seul but: sauver le pays. L'autre point commun: aucun d'eux n'était député. On avait là des cadres de divers partis, tous écoeurés par les intrigues partisanes. ETSI ne proposait aucun programme, ne s'engageait à rien de précis, ne promettait rien. Tous ses cadres, sans exception, répétaient la même question: «Et si...?» sans entrer dans les détails. À toute question ils donnaient la même réponse: Nous demandons trois mois. Si nous échouons, nous partons. Naturellement, les autres partis ont débiné ETSI et ses cadres. Mais les médias leur offraient tous les jours la place d'honneur, sans pour autant les prendre au sérieux: ils voyaient là une proie facile.» Agenda: Vous n'étiez pas du show des Melvins au théâtre Corona ? Je vous raconte.

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min