Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 29 janvier 2019

Mission encre noire Tome 25 Chapitre 302 De synthèse de Karoline Georges paru en 2018 aux éditions Alto. Image est tiré du latin imago pour «masque mortuaire» ou bien le stade final du développement chez un individu. L'image réinvente la vie par l'oeil, par son reflet dans un miroir, dans un écran. Dans un futur si proche, Anouk est l'avatar que se choisi la narratrice, qui tel un ange, lui permet de survoler son monde loin de la morosité du nid familial. En vain. Alors qu'elle sculpte ce visage virtuel, l'annonce de la maladie incurable de sa mère vient modifier sa quête d'absolu. Malgré elle, de nouveaux ponts se créent entre elle et sa famille, entre le corps biologique et son avatar. Récipiendaire du prix du Gouverneur Général 2018, Karoline Georges nous invite au milieu des paysages glacés des mondes virtuels et des hologrammes. De synthèse est un roman sur l'enfance, la mémoire, le malheur et l'espoir. Anouk et la narratrice, l'une se pose sur l'autre pour mieux s'envoler, c'est beau et douloureusement planant. Karoline Georges est notre invité à Mission encre noire. Extrait:«Ma mère répétait souvent que c'était peut-être pire que la religion, cette nouvelle vénération des guédailles de la télévision. Les premiers temps, c'était le surnom d'Olivia. C'était à la sortie du film Grease. J'ai dû passer une semaine à tenter de reproduire la chorégraphie finale du film, celle où Sandy change complètement d'image et devient une femme fatale qui suscite l'hystérie. Cette scène m'a survoltée. J'étais tellement excitée de voir mon idole prendre une apparence nouvelle qui lui insufflait un pouvoir inédit, comme Wonder Woman qui tournait sur elle-même pour faire disparaître sa fausse identité de femme ordinaire et révéler ses véritables couleurs. Ou comme Jinny, qui savait porter les robes qui lui permettaient de dissimuler sa nature magique et de se fondre dans son époque, mais qui, d'un clignement de paupières, retrouvait elle aussi sa percutante apparence intemporelle. Je percevais dans ce spectaculaire changement d'image rien de moins qu'une renaissance. Une apparition miraculeuse, comme Jésus pendant la Transfiguration.» Les écrivements de Mattieu Simard paru en 2018 aux éditions Alto. La vie de Jeanne, 81 ans, prend un virage à 180 degrés, lorsqu'elle se lance sur les traces de Suzor, son amoureux qui l'a quitté brusquement il y a quarante ans déjà. Gravement malade, atteint d'Alzheimer, il se terre quelque part, elle décide de le retrouver coûte que coûte, pour réconcilier leur passé. Elle s'était pourtant promis de ne jamais le chercher. Malgré son âge et sa fatigue, Jeanne, aidée par une jeune complice, Fourmi, défie l'urgence dans la lenteur. À l'échelle de ces deux personnages, la vie défile autrement. Fourmi revisite le passé de Jeanne et de Suzor à travers un carnet qui relate leur rencontre improbable, le terrible voyage en Russie en 1959, le trou dans le mur de la cuisine, les boutons trouvés sur le trottoir. Dans un Montréal enneigé, Matthieu Simard, permet à Jeanne d'écrire l'une des plus belles pages de son carnet, celle où ses yeux brillent joyeux et invincibles. Matthieu Simard est notre invité à Mission encre noire. Extrait: «Tu te souviens, au tout début de nous, quelques jours seulement après que nos lèvres se sont réunies pour la première fois, nous nous étions assis dans la neige au parc La Fontaine. Tu avais aperçu à ta gauche un petit bouton noir tombé d'un manteau. Tu avais souri et tu m'avais dit que tu étais triste pour lui, parce qu'il avait perdu ses amis, les autres boutons du manteau. Je t'avais rassuré en te disant que les autres étaient méchants et que son exil était volontaire. C'était un héros, ce bouton là, un battant qui ne se laisserait jamais attacher. Tu avais rajouté des détails, parlé de ses parents qui s'étaient rencontrés entre deux manchettes, de ses études, de ses ambitions. J'avais mis le bouton dans ma poche. Pendant vingt-cinq ans, chaque fois que tu voyais un bouton, tu faisais semblant de pleurer, pauvre solitude, et moi je lui inventais une histoire rocambolesque pour te rassurer. Tu en rajoutais et je finissais toujours par m'attacher plus que toi et être triste pour les boutons, eux qui avaient une si belle histoire de famille. Nous riions.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min