Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 28 février 2023

Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.

Extrait: « La peur de perdre sa respectabilité, ça, c'est bourgeois. Au sens péjoratif du terme. Dire qu'on est un artiste et vouloir être aimé, ça n'a pas de sens. Je suis actrice. Si personne ne m'aime, je disparais. N'empêche que je n'ai jamais privilégié l'amour du plus grand nombre à ma sincérité. Je ne suis pas un soda qu'on cherche à vendre à tous les enfants. Je ne me présente pas à une élection présidentielle, que je dois gagner en séduisant la majorité des citoyens. C'est mon courage d'être sincère que je vends. D'être précisément moi, que ça te plaise ou non. Ce qui fait qu'on m'a choisie plutôt qu'une autre pour de grands rôles, ce n'est ni ma plastique ni ma diction. C'est que j'ai le cran de ne pas ressembler à tout le monde. Je prends le risque de déplaire, ça fait partie du job. Tu ne peux pas marquer les esprits si tu crains d'être qui tu es. Ce n'est pas la situation qui te rend impuissant. C'est le flip que tes voisins de palier ne te saluent pas comme un notable. Tu peux invoquer ta naissance et parler du métier de tes parents pour te victimiser et justifier ta faiblesse. Mais on sait l'un comme l'autre que c'est une excuse. Les enfants riches sont comme toi. Tout le monde veut faire de la publicité aujourd'hui. C'est-à-dire produire des messages esthétiquement cohérents et qui s'adressent au client qui les commande. Qui se foutent de la vérité. Qui ne veulent que séduire, et jamais déranger personne. Vous voulez que votre art soit pris au sérieux mais vous ne voulez pas déplaire, ni être en danger.»

Le génocide des Amériques. Résistance et survivance des peuples autochtones par Marcel Grondin et Moema Viezzer, paru en 2022 aux éditions Écosociété. Cette œuvre magistrale a été publiée en 2018 en portugais-brésilien, elle est désormais traduite en version française par les éditions Écosociété, agrémentée d’un chapitre abordant le génocide des Peuples Premiers du Canada. La rédaction en a été confiée à un historien innu, Pierrot Ross-Tremblay en collaboration avec l’avocate Nawel Hamidi. Il est impossible de comprendre le mal-développement socio-économique des pays latino-américains et caribéens sans retracer le chemin du plus grand génocide de l’histoire de l’humanité. La conquête du nouveau monde a décimé 90 à 95% de la population autochtones des Amériques. Et ce sur cinq grands espaces – Caraïbes, Mexique, Andes, Brésil et États-Unis – dans le but d’asservir et de piller l’ensemble des richesses qui s’étend des Amériques jusqu’aux îles du Pacifique. Ce livre est aussi bien un hommage aux Peuples résistant qu’un appel à la résistance et au réveil. Les blessures liées à la colonisation étant encore bien réelles aujourd’hui. Ce livre vous donne l’opportunité de relire l’histoire dépoussiérée des demi vérités et des gros mensonges, véhiculés par la version eurocentriste, appuyée par une culture populaire édulcorée. Cet essai dissèque les rouages bien huilés de la machine capitaliste coloniale, sur laquelle repose notre héritage actuel. Devant les chiffres effarants présentés ici, c’est surtout le moment d’apprendre dans ses pages à faire et à penser différemment. Cela signifie, notamment, d'apprendre à nous reconnaître en tant qu’habitant de la terre, notre maison commune. Et si les guerres de conquête d’aujourd’hui ressemble à celle d’hier, n’y-a-t-il pas urgence à changer? Comment? Un proverbe attribué aux nations Ute et Sioux d’Abya Yala, dans le nord du continent donne une réponse:

«Ne marche pas derrière moi, peut-être/que je ne souhaite pas mener/Ne marche pas devant moi, peut-être/que je ne veux pas te suivre./ Marche à côté de moi...pour que nous puissions avancer ensemble.» Le génocide des Amériques. Résistance et survivance des peuples autochtones par Marcel Grondin et Moema Viezzer, paru en 2022 aux éditions Écosociété.

Extrait: « L'assemblée des Nations unies vota le 9 septembre 1948 la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui fut ainsi défini: Un génocide s'entend de l'un quelconque de ces actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel:

a) meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »

Poids Lourd par Daniel Bélanger paru en 2022 aux éditions Les herbes rouges. Un homme seul dans sa voiture double un camion chargé de porc qui file vers l’abattoir. Ce sont les premiers mots qui vont conduire le fil ténu des poèmes qui tiennent en équilibre autour de ce qui pourrait sembler être un rythme de blues. Cet homme aime la vie simple, boire un thé, guetter l’aube et ses oies qui cacardent, observer une femme qui se maquille devant son miroir, se rappeler au souvenir de son père qui redressait les clous comme on fait les mots croisés. Mais vivre c’est aussi craindre de se laisser déborder par l’empreinte néfaste du monde. De vivre malgré soi au centre de l’apocalypse tranquille d’une humanité qui part à vaux l’eau et qui s’en fout, un coup de fourchette à la fois. Car quoi qu’il arrive, C’est toujours le cochon que l’on tue pour manger. Comment faire pour que le poète chante encore, pour que le poète rêve encore en silence de retrouver la langue facile de l’enfance? Pour faire comme si tout allait bien, pour prétendre rêver mieux peut-être? Sous un soleil timide, à l’heure bleu de ses poèmes, Daniel Bélanger est auteur, compositeur, interprète, lauréat de nombreux prix. Les insomniaques s’amusent, Rêver mieux, l’Échec du matériel figurent parmi les albums marquant du paysage musical québécois. Poids lourd vient compléter la palette de l’artiste dont on retrouve le travail également au cinéma et au théâtre. Si ce recueil a des relents de purin et de sang, l’image du camion transportant des porcs à l’abattoir illustre bien l’angoisse de l’auteur devant un monde qui roule à tombeau ouvert vers sa finitude.« je suis un bâtard légitime/louvoyant entre la chanson et la livraison de marchandise/entre le slogan et le cochon.», clame l'auteur, loin de se prendre au sérieux, une certaine légèreté est possible malgré tout. Daniel Bélanger vous invite à une autre forme de voyage, à une autre aventure dans ce recueil réussie, Poids Lourd paru en 2022 aux éditions Les herbes rouges.

Extrait: « Hier sur l'autoroute, j'ai doublé/un camion chargé de porcs. Il fonçait/visiblement droit à l'abattoir./Au passage, j'ai aperçu les bêtes,/oscillantes, silencieuses./J'ai passé mon chemin/comme on hausse les épaules./Je suis allé à la chanson suivante.// Dans un café,/un homme boit son thé./Quoique libre et aimé/il se sent captif./Puis un rayon/coule jusqu'à sa main./Il la réchauffe.»

Feuille de route

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Mission encre noire 27 juin
Émission du 27 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 412. Troubles, nos ombres un collectif dirigé par Jennifer Bélanger paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. La colère ne se tarit pas dixit l’autrice. De l’élaboration de ce projet à l’été 2020, à son achèvement en 2022, Safia Nolin deviendra la bête noire des réseaux sociaux malgré son récit d’agressions subies de la part de Maripier Morin, la montée de la droite aux États-Unis et celles des conservatismes en général dans le monde, dès lors menace les droits fondamentaux des personnes minorisées. Les textes réunis ici par Jennifer Bélanger offre un espace sécuritaire à 11 artistes non seulement pour témoigner de l’urgence de dire les dangers qui guettent les personnes LGBTQ2IA+, mais également pour nous partager des récits de vie poignants. Qu’il s’agisse d’amitié, de rapports amoureux, de désirs, de colère, de résistance, Étienne Bergeron, Julie Bosman, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Martine Delvaux, Sandrine Galand, Maude Lafleur, Mael Maréchal, Roxane Nadeau, Mélanie O’Bomsawin et Justina Uribe se réunissent sous l’ombre lumineuse et créatrice de Jennifer Bélanger, qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 06 juin
Émission du 6 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 411. Mise en forme par Mikella Nicol paru en 2023 aux éditions Le Cheval D’août. À la suite d’une rupture amoureuse encore fraîche et de l’aménagement en catastrophe chez un ami, la narratrice se jette à corps perdu dans l’entraînement physique. Malgré que son corps deviennent de plus en plus performant, la dépression gagne du terrain, il y a toujours quelque chose qui cloche. Ce qui s’impose très vite comme la seule activité encore valable à ses yeux va devenir un sujet de réflexion tenace. Et si, en dépit des injonctions bénéfiques assénées par les vidéos de fitness, les programmes de remises en forme n’étaient que la partie émergée d’une problématique plus vaste. Pour l’autrice l’idée jaillit en croisant un inconnu malveillant dans la rue. Le lien qui unit violence et beauté ne fait plus aucun doute. Ou comment l’industrie du fitness, entre autre, confirme la main mise d'une esthétique patriarcale, coloniale et fossile, sur le discours ambiant, dixit Paul B. Preciado. On peut se demander, ici, comment un tel système, qui vise la soumission collective totale des corps, se met-il en place ? Les femmes en particulier, tels des objets inoffensifs, se doivent de collaborer, bien entendu, à leur corps défendant, à des modèles hétérosexuels astreignants. Ce livre à mi-chemin de l’essai et du récit autobiographique laisse libre court à une parole qui refuse de rentrer dans le moule. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mikella Nicol.
60 min
Mission encre noire 23 mai
Émission du 23 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l’ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd’hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l’auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d’un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l’annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l’âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n’a fait que mentir. À l’époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l’auteur nous entraîne dans un étrange roman d’aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s’interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier.
60 min
Mission encre noire 16 mai
Émission du 16 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 409. Exercices de joie par Louise Dupré paru en 2023 aux éditions du Noroît. Dernier fascicule du triptyque traitant des possibilités du poétique face à l’horreur et à la détresse entamé avec Plus haut que les flammes en 2010 puis La main hantée en 2016, Exercices de joie présente la poète fébrile, les côtes friables, hantée par des rêves qui la réveillent la nuit. Toutefois Louise Dupré n'abdique pas pour autant. Elle revendique le désir de se tenir debout devant un paysage en ruines quitte à s'accrocher à ses mots comme à une bouée. Car, s'il est peut-être vain de vouloir comprendre l’envers du monde quand le temps fuit entre nos doigts, pourquoi ne pas apprivoiser les douleurs, en oublier la piqûre de l’aiguille. L’écriture, telle une veine fragile qui palpite encore, se mue en écorce revêche, pour combattre en prose et en vers. Si la suie de Birkenau ou de Auschwitz la poursuit encore, si l’ombre de la main coupable du second recueil habite encore les pages, les poèmes explorent ici une autre voie, plus apaisée. Celle de la douceur, celle de la joie, que l'autrice défini comme cet instant précieux et rare ou le cœur module ses élans. Il est du devoir de la poète de donner à voir cette faible clarté bienveillante qui conduit sa main. Certes, le cercle des poètes disparus s’agrandit un peu plus chaque jour, le monde chancelle ; non, elle ne vacillera pas ; l’autrice appartient à la généalogie des femmes qui n’ont jamais renoncé. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Louise Dupré.
60 min
Mission encre noire 02 mai
Émission du 2 mai 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d’ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu’était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l’usine Weston. Elle, c’est Val, sa future collègue que l’adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d’être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d’un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu’à travers le miroir aveugle de l’écran noir d’un cellulaire. Mathieu n’a rien de différent des autres, si ce n’est l’élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l’aventure épisodique, très attachante, d’un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay.
60 min