Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 27 avril 2021

Mission encre noire Tome 31 Chapitre 356. Ville contre Automobiles, redonner l’espace urbain aux piétons par Olivier Ducharme Paru en 2021 aux éditions Écosociété dans la collection Polémos Combattre, débattre. Dans la ville de demain, la voiture n'aura pas lieu d'être. Pour vous en convaincre Olivier Ducharme se propose de remettre les pendules à l'heure avec cet essai courageux et lucide. L'automobile est un piège dans lequel un pan entier de la planète est tombé. L'auteur livre un état des lieux exhaustif des dégâts  causés sur la ville et notre environnement direct par ce qu'il faut bien reconnaître comme l'invasion grandissante de ces «requins d'acier». L'automobile est devenue, à notre corps défendant, l'étalon de mesure de la planification urbaine, au détriment de la tranquillité de ses habitants. Sur le modèle de certaines métropoles européennes, Olivier Ducharme réclame ni plus ni moins que le bannissement des autos au profit du transport collectif, et de la marche, pour remettre la vie de quartier et une réelle transition écologique au coeur de nos préoccupations. Je reçois Olivier Ducharme à Mission encre noire. Extrait:« Broadacre City ressemble à une énorme banlieue qui s'étend à la grandeur du pays. Il devient difficile d'appeler cela une ville ; nous sommes plutôt devant un découpage du territoire divisé en unités d'une acre et traversé par un circuit d'autoroutes et de superautoroutes. Broadacre City est demeurée une vue de l'esprit. Nous ne sommes toutefois pas trop dépaysés face au portrait offert par Wright. Le parallèle avec la vie de banlieue actuelle est frappant. En plus de voir son utopie demeurer lettre morte, Wright a constaté que sa critique générale de la place de l'automobile dans les villes n'a pas été entendue. Pour Wright, la ville traditionnelle est trop étroite pour accueillir du matin au soir un flot continu d'automobiles. Il fallait repartir sur de nouvelles bases pour que les villes s'adaptent à la vitesse des automobiles et à leur constant besoin d'espace.» Faut-il en finir avec la civilisation, primitivisme et effondrement, par Pierre Madelin, paru en 2021 aux éditions Écosociété dans la collection Polémos Combattre, débattre. Et si les sources de la crise écologique actuelle se trouvaient quelques part il y a une dizaine de milliers d'années ? Est-il raisonnable de penser que c'est notre sédentarisation qui marquerait le début de la destruction de la nature ainsi que de celui de notre soumission à des systèmes de pensée écocides? Pour les partisans des théories primitivistes la réponse est oui. Pierre Madelin examine à la loupe ces propositions, dans l'urgence, comme s'il pressent le danger de tomber dans un piège idéologique se drapant dans les valeurs et les idéaux d’un monde moderne aux abois et avide de solutions à court terme. En contrepoint, l'auteur se consacre au rapport que les sociétés occidentales entretiennent avec la nature, à travers le «culte de la wilderness» (nature sauvage) par le biais de l'histoire de la création des grands parcs nationaux américains au XIXeme siècle et la rencontre de figures marquantes du mouvement tels Edward Abbey, John Muir et Henry David Thoreau. Pierre Madelin est invité à Mission encre noire. Extrait:« Sur le plan littéraire, c'est sans doute dans le Désert solitaire d'Edward Abbey, publié en 1968, que s'exprima avec la plus grande vigueur - mais aussi avec un sens de l'humour décapant - la critique déjà ancienne des parcs nationaux et de leur aménagement. Alors qu'il était employé saisonniers du parc national des Arches dans l'Utah, Abbey décrivit avec amertume tout ce qu'une zone naturelle protégée par l'État «comporte de policiers, d'administrateurs, de routes goudronnées, d'itinéraires aménagés pour les voitures, de points de vue panoramiques officiels, de terrains de camping obligés, de laveries automatiques, de cafétérias, de distributeurs de Coca-cola, de toilettes à chasse d'eau et de droits d'admission». Mais ce sont indéniablement les voitures, qu'il nomme selon les pages «coquilles métalliques», «mollusques à roulettes» ou fauteuils roulants motorisées», qui suscitèrent ses critiques les plus acerbes. Aussi appelle-t-il les visiteurs à quitter leurs voitures, à délaisser un rapport purement spectaculaire aux paysages afin de renouer avec une expérience physique, charnelle du monde: «soulevez vos derrières en caoutchouc-mousse, levez-vous, tenez-vous droit comme des hommes ! comme des femmes! comme des êtres humains! et marchez - marchez - MARCHEZ sur votre terre douce et bénis !». »  

Feuille de route

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Mission encre noire 15 décembre
Émission du 14 décembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 372. Jusqu’au dernier cri de Martin Michaud, une enquête de Victor Lessard, parue en 2021 aux éditions Libre expression. Au milieu d'une violente tempête, le sergent détective Victor Lessard, enfourche une Honda CR250M Elsinore, il passe en première et actionne le levier d’embrayage pour une course poursuite des plus mémorable au cœur des paysages sauvages englobant la route de la Baie-James. Car voilà, suite à l’assassinat de trois membres d’un puissant cartel de trafiquants d’opium, un précieux colis a été dérobé aux trafiquants qui n’entendent pas à plaisanter. L'enquête déraille rapidement, lorsqu'un homme en fuite, prend huit personnes en otage dans une mine de Matagani. Alors qu'il accompagne Jacinthe Taillon dans la salle d'attente d'un hôpital, à la demande de la GRC, Victor est le seul individu à qui le criminel veut s’adresser. Les deux enquêteurs du SPVM se retrouvent précipités dans une chasse à l’homme haletante, sur les traces de l’auteur du triple meurtre. Embarquez dès ce soir avec moi vers le Nord-du-Québec, histoire de renouer avec les deux inséparables enquêteurs Lessard et Taillon, de croiser Yogi Berra, Scotty Bowman, Victor Hugo, Christopher Walken, Fellini, et bien d’autres, sans oublier bien sûr la montre Hamilton héritée de son mentor Ted, un gant de baseball fétiche et le So what de Miles Davis. J'accueille ce soir, à Mission encre noire, le maître du thriller québécois, Martin Michaud. Extrait:« Victor sentit un craquement sous les semelles de ses bottes élimées. Il s'arrêta et en identifia la cause: il venait de marcher sur des éclats de verre. Il comprit alors pourquoi il n'apercevait toujours pas le haut de l'escalier: des ampoules avaient été sciemment brisées pour plonger l'endroit dans la pénombre. Alors que Victor reprenait son avancée, une certitude s'imposa à son esprit: Le déclencheur de ses pensées négatives avait été la simple mention de son frère, qui le ramenait en arrière, au coeur de son passé, et lui nouait l'estomac. Victor tourna brusquement la tête vers sa droite, là où un grondement bientôt assourdissant secoua la tour, faisant frémir les murs: un hélicoptère survola le site avec fracas, puis le bruit s'amenuisa jusqu'à s'éteindre. Il montait les dernières marches quand une des portes doubles en haut de l'escalier s'ouvrit lentement vers l'intérieur, sans un bruit. Le sergent-détective inspira à fond de nouveau et franchit l'encadrement avec circonspection ; il avança à tâtons dans l'obscurité de la pièce, dont il distinguait vaguement les contours. La porte se referma brutalement dans son dos, une silhouette apparut dans sa vison périphérique et une voix tonna.»   Les gouffres du Karst, une enquête d’Alexandre Jobin par André Jacques, parue en 2021 aux éditions Druide. En 2005, rien n’empêche Alexandre Jobin de voyager en Italie ou en Croatie, du moins pas encore. Le retraité de l’armée canadienne, antiquaire à ses heures perdues, est appelé à la rescousse par le service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) alors qu’un meurtre perpétué dans une zone industrielle proche du parc Jarry dévoile une sombre affaire de trafic d’armes et d’œuvres d’art. L'opération visant à démanteler le réseau criminel a mal tourné. La découverte de l’identité du mort, un ancien camarade d’unité lors de deux déploiement dans les Balkans, achève de convaincre Alexandre Jobin. De Montréal en passant par Trieste et Dubrovnic, le personnage fétiche de l’auteur s’immerge de nouveau dans un passé à l’odeur infecte, qui le mènera les yeux remplis d’effroi aux bords des gouffres du Karst. Il y retrouvera fatalement une vieille connaissance, qui, jusque là, hantait seulement ses cauchemars. Au son lointain du chant du Muezzin, et de quelques détonations, la sulfureuse Pavie, l’assistante toute dévouée de Jobin, Isabelle Ménard, Le vieux Sam Wronski, l’ignoble Dragomir Broz et bien sûr la charmante Chrysanthy Orowitzn marquent de leur présence le studio, ce soir. André jacques est invité à Mission encre noire. Extrait:« La pluie a repris. La nuit est tombée. Circulation moins dense sur Van Horne. Presque aucun piéton. Alexandre n'a pas mis l'éclairage, n'a pas installé le trépied ni l'appareil photo. Simplement écarté un peu le rideau. Depuis trois heures, il observe le Zadar, les allées et venues des clients habituels qu'il commence à reconnaître: le vieux avec sa canne, les deux colosses aux allures de débardeurs. Le jeune Josip ne s'est pas pointé. Bien! Il a compris. Ni Petar Horvat d'ailleurs. Moins bien! Mais Baldo Broz est arrivé, seul, il y a environ une heure. À moins qu'il n'ait emprunté la sortie du bureau à l'arrière, il devrait être encore à l'intérieur. Deux clients, les débardeurs, sortent. Un peu chancelants. On commence à éteindre l'éclairage dans le bar. Si Baldo doit sortir ce sera dans les minutes qui viennent. Alexandre referme le rideau, met son blouson et la casquette des Expos. Vérifie de la main gauche si l'arme est toujours bien en place, coincée dans son dos par la ceinture de son pantalon. Puis, il dévale l'escalier, ouvre la porte de derrière, court vers l'avant par la ruelle. se blottit dans l'ombre au coin de l'immeuble et attend de nouveau.»
60 min
Mission encre noire 17 novembre
Émission du 16 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 371. Hantises, Carnet de Frida Burns sur quelques morceaux de vie et de littérature par Frédérique Bernier paru en 2020 aux éditions Nota bene dans la collection Miniatures. Un livre qui a reçu Le prix du Gouverneur Général en 2020 dans la catégorie Essais de langue française. Le mot littérature existe que depuis deux siècles et l’expression consacrée est de faire de la littérature. Qu'est-ce que cela veut réellement dire pour l'autrice ? À quoi s'engage-t-on en empruntant les sillages tortueux d'une pensée vivante, vivifiante et parfois dangereuse ? Il en va ainsi des rêveries et des hantises de Frida Burns, alter ego de l’autrice : Comment faire l’expérience du monde autrement que par la littérature? Comment dépasser l’horizon morne du quotidien sinon par la découverte de quelque chose plus grand que soi? Qui lit et pourquoi certains textes sont considérés comme littéraires? Ce livre assez court se veut un hommage à la littérature, «à la lecture-écriture comme une question de vie ou de mort, de vie et de mort, de mort au lieu même de la vie» dixit l’autrice. Je vous invite à tricoter, détricoter la langue, ce soir, en compagnie de Frédérique Bernier à Mission encre noire. Extrait:« Oui, parfois, on voudrait que la vie soit aussi à la hauteur de ce qu'on cherche follement dans les livres (où l'on a pris l'habitude de ronger son os, de courir après son foutu fantôme de chien). C'est aussi bête que cela. Avoir ce besoin criant en soi est la seule définition que je donnerai du mot «littéraire», la seule adhésion véritable que je peux avoir vis-à-vis de cet adjectif. Toute ma bibliothèque pour un parfait moment littéraire dans la «vraie vie», comme disent les enfants. J'avoue ici, je le sais, quelque chose d'inavouable, de gênant. Cela relève d'un romantisme de midinette. Madame Bovary, c'est moi. Je m'en excuserai pas. (Sauf quelques fois, entre parenthèses.) Car ce qui est gênant et honteux, de nos jours, ce n'est pas le sexe dans lequel tout le monde fait semblant de se vautrer pour être compté parmi ceux qui jouissent de la vie (je n'ai rien contre, cela dit, le sexe et jouir de la vie). Ce qui est gênant aujourd'hui, c'est l'amour, comme le relevait déjà Barthes il y a quarante ans, et peut-être plus encore d'afficher sans vergogne sa croyance en l'absolu. En un absolu littéraire qui, surcroît de ridicule, daignerait venir à notre rencontre, tel un ange déchu, dans la «vraie vie».» Aller aux fraises par Éric Plamondon, un recueil de nouvelles paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Aller aux fraises est une expression qui date du début du XXème siècle, qui compare le chemin aléatoire d’une personne qui cherche des fraises à celui d’un individu qui erre sans but, se promène en musardant. Éric Plamondon reprend la route vers ses souvenirs d’adolescence entre la Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches. Cap-Santé, Saint-Raymond, Donnacona, Baie-Saint-Paul, Saint-Irénée, Thetford Mines, Asbestos servent de décors à ces trois nouvelles tissées serrées. Aller aux fraises, c'est une histoire du père, une autre des années cinquante, qui fait oeuvre de légende locale et enfin celle du territoire: l'adolescence au Québec. Il existe parfois des distances plus longues que prévu entre l'adulte devenu et l'ado. Il faut croire que celles qui mènent de Portneuf à Charlebois, ou de Québec à Thetford Mines ont mis quelques années à trouver le chemin de la plume de l'auteur. Éric Plamondon nous invite à jeter un coup d'oeil dans le rétro de ses souvenirs de jeunesse au Québec. Il est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.  Extrait:« Au mois d'août, mon père et sa blonde, Sylvie, avaient pris la Transcanadienne en Renault Encore jusqu'à Vancouver pour visiter Expo 86, organisée à l'occasion du centenaire de la ville. J'avais la maison à moi seul pour trois semaines. Mon père m'avait laissé des Tupperware au congélateur - de la sauce à spag, de la lasagne, du pâté chinois, du chili con carne, des hamburger steaks, des pâtés à la viande. La Renault 5 était à ma disposition, je pouvais aller où je voulais quand je voulais. Pour la première fois de ma vie, c'était la liberté totale. Je pouvais laisser traîner la vaisselle pendant des jours, écouter de la musique à tue-tête à toute heure et vider un sac de chips au barbecue en plein milieu de l'après-midi en buvant du coke. J'ignorais encore, du haut de mes dix-sept ans, que dans très peu de temps il me faudrait pas mal plus que des décibels ou des sacs de chips pour avoir l'impression d'être libre.»
60 min
Mission encre noire 10 novembre
Émission du 9 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 370. Les racistes n’ont jamais vu la mer par Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban, paru en 2021 aux éditions Mémoire d’encrier. Yara El Ghadban et Rodney Saint-Éloi nous invitent ici à dialoguer. Les deux écrivain.e.s se livrent à vous, sous la forme d'un échange épistolaire, riche et bienveillant. À partir de leur propres expériences et de leurs souvenirs, chacun.e tente de répondre à la question du racisme. Librement l’une et l’autre nous régalent de mots, d’idées, de poésie et d’anecdotes, qui malgré le sujet vous feront voyager. L'urgence est de se raconter pour que les villes s'enrichissent d'une mémoire collective inclusive et rassembleuse.Comme il est écrit ici: peut-être qu’il est temps pour les blancs d’écouter, et que le moyen le plus sûr est de partager ces récits qu’on ne raconte pas. Poussons-nous sous l’arbre à palabres, ce soir, aux côtés de mes invités, Yara El-Ghadban et Rodney Saint-Éloi sont à Mission encre noire. Extrait:« Les femmes ont tant subi la violence de la langue qu'elles ont développé leur propre vocabulaire. Elles nous ont donné le mot mansplaining pour dire la tendance des hommes à vouloir expliquer les choses aux femmes, comme on le fait aux enfants. Il y a aussi le whitesplaining, ces conversations entre blancs et non blancs, où chacun doit respecter son rôle. Par la couleur de notre peau, par nos accents et nos histoires, nous sommes les pauvres, les malavisés, les confus. Nous sommes le fardeau des blancs et leur responsabilité de maîtres du monde. C'est aux blancs de nous guider vers la lumière, de nous apprendre les règles de la grammaire, nous montrer ce que c'est une vraie maison d'édition et ce que c'est un vrai éditeur. Il n'est pas Noir, et il ne parle pas créole. S'il fallait ajouter à cela une éditrice arabe qui écrit dans sa troisième langue, eh bien, c'est la recette pour un désastre ! J'aime cette confusion Rodney. J'aime les sourires condescendants quand tu insères le mot révolution dans tes phrases. Le subtil, «il n'est pas sérieux» ou«laissons-les à leur délusions, ces Noirs et ces Arabes».» Nous sommes un continent, correspondance Mestiza par Nicholas Dawson et Karine Rosso paru en 2021 aux éditions Triptyque dans la collection Difforme. Osons danser sur this bridge call home. Sachons prêter l'oreille à cette conversation passionnante qui vous demandera sans doute de ralentir un peu, pour mieux ressentir l'écho d'une voix unique, celle de Gloria Anzualda. À partir de ses réflexions, Karine Rosso et Nicholas Dawson reprennent un échange épistolaire amorcé avec l'ouvrage Se faire éclatée, expériences marginales et écriture de soi qui s’achevait précisément sur une citation de la langue enflammée de Gloria Anzaldua. Cette nouvelle rencontre est une invite à reprendre leur dialogue autour de l’œuvre de l’autrice d’origine texane décédée le 15 mai 2004 à Santa Cruz. Ce livre, c’est aussi l’histoire d’une amitié, l'une et l'autre nous offrent une traversée intime des continents pour «décentrer la parole blanche, unilingue et consensuelle qui domine les médias et la culture» comme le souligne Pierre-Luc Landry en préface. Nous sommes un continent appelle à un changement du monde et à ses façons de penser. Ce livre tisse des liens et il existe précisément pour vous permettre de ne pas rester sur le seuil des mutations économiques et sociales à venir. Je vous invite à découvrir cet espaces de tous les possibles, là où se cotoît toutes les marginalités: la frontière, en compagnie de Nicholas Dawson et Karine Rosso, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Buenos Aires (Argentine), 18 janvier 2019. Cher Nicolas, C'est la première fois que je t'écris à la main. Je suis toujours à Buenos Aires, dans un café situé en face d'une gare de banlieue. Je fume sur la terrasse en regardant les couples, les ami.e.s et les familles nombreuses aux tables voisines. La musique qui me parvient de l'intérieur du café (Amy Winehouse, Dirty Dancing) me rappelle ce que tu m'as écrit dans anti-gringo qu'on pourrait le croire. Contrairement à toi, je n'ai toutefois pas été en contact avec les milieux universitaires. Ici, mes ami.e.s et ma belle famille se déplacent en circulos militantes ou dans des espaces culturels alternatifs. Il est vrai que celleux qui ont été à l'université citent parfois Bourdieu, Lacan ou Chomsky, mais depuis que je suis ici, j'entends davantage parler del FIT (Frente de izquierda de los trabajadores) et du mouvement pour la légalisation de l'avortement. Cette année, des centaines de milliers d'Argentines sont descendues dans la rue pour défendre le droit d'avorter sans avoir à risquer leur vie. Munies d'un foulard vert, elles ont défilé jour et nuit devant le congrès. (Je m'interromps pour évoquer la femme et ses trois enfants qui passent en ce moment aux tables pour demander de la monnaie. Il y a dix minutes, j'ai acheté trois paires de bas pour 100 pesos à un jeune homme qui me disait «por favor señorita, ayudame»).»  
60 min
Mission encre noire 02 novembre
Émission du 2 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 369. Une autre vie est possible par Olga Duhamel-Noyer paru en 2021 aux éditions Héliotrope. La mère de Valéry est chef de cellule. L’appartement de la rue Bloomfield accueille volontiers des militant.e.s d'origine et de provenance variées. Micheline organise les distributions de tracts pour toutes les boîtes aux lettres du quartier. Certain.e.s camarades préparent des blitz d'affichages, pendant que d'autres préparent une visite à l'entrée des usines de textile de la rue Chabanel. Pour toutes et tous, un autre ailleurs est possible, un autre rêve est accessible : le communisme. Valéry y croit lui aussi, vraiment. Cuba, le Chili, l’Argentine et Moscou sont souvent de la fête jusque très tard dans son salon. La vie démocratique est heureuse, pour un temps seulement. Sur le chemin de la lutte, des choses reviennent dans le présent qui change, des déjà-vu ailleurs. Le grain de sable d’une rupture amoureuse a quelque chose de familier, trop peut-être. De quoi faire dérailler l’emballement des plus belles machines comme ternir le rêve du grand soir. Dressez les étendards, les marteaux et les faucilles, j’accueille Olga Duhamel-Noyer à Mission encre noire. Extrait:« Dehors, il y a la ville, la campagne et la forêt. Et de nouvelles rues sont tracées en périphérie, en banlieue. On ne voit pas toujours à quoi veulent en venir ceux qui les habitent. Des bungalows, des maisons neuves. Étincelantes de propreté. Beaucoup de ces maisons récentes sont bâties sur des parcelles où l’on plantait depuis longtemps des choux, des oignons, des carottes, des navets et des patates, tout en élevant des poules et quelques cochons. Et de grosses machines ont nettoyé des zones boisées qui n’avaient pas encore été défrichées. Les gens ont parfois cru bon de laisser ici ou là un grand sapin. Sinon ses grands-parents, Valéry ne connaît personne qui habite un bungalow. Dans les journaux, semaine après semaine, des articles présentent des maisons modernes avec les plans pour les construire. Son grand-père a fait bâtir une petite maison à partir de ce genre de plans. Le neuf promet un avenir heureux. On trouve en ce temps-là sur les étalages des magasins bien moins de choses qu’aujourd’hui. L’ironie est que les gens sont alors complètement hypnotisés par le fait qu’il y a davantage de tout. L’expression «société de consommation» continue de se répandre, elle permet de décrire ces montagnes de cadeaux que reçoivent les enfants. Les parents plus éduqués résistent un peu, offrent des jouets éducatifs, en bois le plus souvent. Tous les adultes sont frappés par le contraste avec leur propre enfance, par le nombre vertigineux de cadeaux qui sont offerts aux plus jeunes, par cette étourdissante abondance. Les militants ne sont cependant pas dupes, ils ne perdent jamais de vue la hideur du libre marché, sa monstruosité. Ils savent que la logique libérale implique l’exploitation pour être florissante. Valéry hait de toutes ses forces le capitalisme, la passion des garçons et des filles de son âge pour les vedettes le tourmente, la camelote des centres commerciaux lui fait le même effet. » Dans la solitude du terminal 3 par Éric Mathieu paru en 2021 aux éditions La mèche. Nathan Adler habite Ottawa, nous sommes en 1984. Lors d’une banale soirée d’hiver, rentrant chez lui, dans le quartier de Mechanicsville, à l’ouest de la ville, un chauffeur perd le contrôle de son véhicule. Il se fracasse contre un poteau électrique. L’homme bien habillé, un peu plus âgé que lui, est blessé. Il prends néanmoins la direction, à pied, d’une petite maison rue Bromley. Un lieu qui va devenir rapidement incontournable. Nathan y découvre un étrange manuscrit intitulé : dans la solitude du Terminal 3. L’homme et la voiture accidentée ont disparu soudainement. Parti à la recherche de cette énigme, il fera la rencontre d’un groupe qui gravite autour du fascinant et toxique écrivain Antoine Dulys. Il devine bien vite son insatiable envie de devenir un écrivain. Celui-ci s'arrange pour que le jeune homme lui soit redevable. Il cède plus souvent qu'à son tour, trop. La vie de Nathan s’apprête à partir dangereusement en vrille. Je vous propose de vous laisser aller à un dérèglement des sens, ce soir, à Mission encre noire en compagnie d’Éric Mathieu. Extrait:« J'ai dormi jusqu'à quatorze heures. J'avais vomi dans mon sommeil. Une petite flaque décorait mon oreiller et une odeur acide flottait dans ma chambre. J'avais mal partout, aux muscles, aux os, à la tête et j'ai eu de la difficulté à me lever. Dans la salle de bain, je me suis regardé longtemps dans la glace, étudiant d'éventuels changements surgis dans la nuit. L'ampoule au plafond dessinait des ombres bizarres sur le mur, mon corps était entouré de bâtonnets fluorescents et d'étincelles lumineuses. Mon visage et mes épaules se dédoublaient. Mes deux figures ont dansé devant moi pendant quelques minutes, puis je suis revenu à mes esprits. Mon quart était long et pénible. J'étais épuisé et il y avait un monde fou en salle, des clients exigeants qui n'étaient pas satisfaits de leurs plats et qui les renvoyaient en cuisine. Je faisais de mon mieux, mais je n'arrivais pas à me concentrer. Vers vingt et une heures, j'ai aperçu par le hublot de la cuisine qui donnait sur la salle du restaurant un homme assis dans un coin en train de lire le journal. Il ressemblait à Adam Benson. Je suis sorti de la cuisine pour aller m'accouder au bar. D'où je me tenais, je voyais mieux: c'était bien lui. Étrange coïncidence. Que faisait-il au Rubens?»
60 min
Mission encre noire 26 octobre
Émission du 26 octobre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 368. Une fille sans fusil de Paule Baillargeon paru en 2021 aux éditions Les herbes rouges. Huguette ne peut plus se taire. Où plutôt Huguette veut enfin parlé de ce qu’elle n’a jamais vraiment révélé. Huguette veut replonger dans ce passé peuplé de silence: sa sexualité. Elle est seule, enfermée dans ce conteneur, à regarder des images terrifiantes, sur la vie ordinaire et sur des souvenirs qui la poursuivent depuis des années. Quatorze fois, elle a été harcelée, touchée. Embrassée contre son gré, violée. À l’image de tant d’autres, elle se taira puis se relèvera, à chaque fois. Alors même si ses jambes se font vieilles, que le docteur a quitté la pièce, elle ne flanche pas. Voici le récit fragmenté, bouleversant de cette femme qui se refusera à la violence. Non, Huguette est cette fille sans fusil qui choisi ses armes, qui choisi l’art, la littérature, le cinéma, l’écriture pour apaiser sa souffrance, pour raconter. J’accueille ce soir à Mission encre noire, Paule Baillargeon. Extrait:« Dans ma mémoire, son image est diffuse, un homme grand dans la porte de la chambre d'hôtel. À paris. Je sors de la douche et je réponds à la porte. Je sais à peu près qui c'est. L'assistant qui vient indiquer l'horaire pour la journée, quelque chose comme ça. La robe de chambre fournie par le petit hôtel est bien fermée avec le ceinturon, et la serviette de bain enroulée comme un turban sur ma chevelure mouillée. Eh non, ce n'est pas l'assistant à la mise en scène venu me dire que nous sommes invitées, les femmes de la troupe, au défilé Chanel, quelle chance, Chanel, nous serons assises avec des actrices célèbres à regarder des jeunes femmes superbes défiler dans des vêtements cousus directement sur la peau, mais non, ce n'est pas ça, c'est le metteur en scène. Il est dans la porte et il dit, eh que j'te violerais toi. Après il parle encore, des morceaux de mots sortent de sa bouche, qui font semblant que les mots précédents n'ont pas été dits, tu vois je crois que dans la scène 28, tu devrais pleurer, pleurer pour qu'on t'entende, je te l'ai déjà dit, mais tu ne le fais pas, tu vois de quelle scène je parle, la 28, il faut que tu pleures. Ils font ça. Prétendre que ça ne s'est pas passé, que les mots n'ont pas été dits, que les gestes n'ont pas été posés.» Voyances par Anne-Renée Caillé paru en 2021 aux éditions Héliotrope. Que pensez-vous des lecteurs/lectrices de tarot, des astrologues ou des voyant.e.s ? Anne, la narratrice et alter ego de l’autrice décide de partir à la rencontre de cartomancien.e.s, de médiums et de devins. Pour faire suite à une carte blanche d’écriture sur la sorcellerie, n’ayant que très peu d’avis sur la question, l’autrice consent à s’asseoir dans un espace exigu, devant une théière, une petite tasse et des effluves enivrantes d’encens. D’ordinaire assez méfiante pour les choses relevant de l’ésotérisme, Anne prend des notes après chaque séance. Les cartes sont brassées. On lui fait des propositions attirantes et des promesses en pagaille. Malgré tout, la narratrice se laisse raconter. Peu à peu un autre récit fait surface, une autre analyse, un angle inédit d’envisager l’avenir jailli. Vous souriez ? Méfiez-vous, il se pourrait que vous sortiez égaré.e.s de votre lecture, car, après tout, malgré sa mauvaise presse, la voyance n'est-elle pas un autre moyen de mettre des mots sur le réel ? Venez jouer avec l'alignement des planètes ce soir à Mission encre noire, j’accueille Anne-Renée Caillé. Extrait:« Je suis partie sans dire que je rêve à peine, que je me souviens peu de mes rêves, depuis longtemps. La rencontre a été longue, plus longue que ce pour quoi j'ai payé, il y a eu beaucoup de cartes exposées, de lectures, de recommandations, en somme, cela va bien, cela va bien aller, même s'il a dit ne pas voir l'avenir, il me semble que mes court et moyen termes sont prometteurs, j'ai entendu «promesse» quelques fois. Je dois admettre que j'étais égarée en sortant de là, encore plus fébrile qu'à l'arrivée, je ne savais même plus si je devais faire comme prévu, l'écrire, il a d'ailleurs utilisé le mot «fébrile» pour décrire l'embrouillage des cartes, ensuite les cartes l'ont peut-être été moins, mais moi, davantage. Je retiens, s'il y a d'autres tarots à l'avenir, que je devrai venir avec des questions précises, des intentions moins camouflées, ou plus camouflées. Mais déjà j'ai exécuté une des prescriptions: J'ai tout noté.»
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