Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 25 février 2020

Mission encre noire Tome 28 Chapitre 330. Phora, Sur ma pratique de psy de Nicolas Lévesque paru en 2019 aux éditions Varia dans la collection Proses de combat. Être à l'écoute psychanalytique du monde d'aujourd'hui, c'est relever le défi de la solitude, plume en main, pour témoigner de l'intime au plus creux de l'humain. Nicolas Lévesque nous invite dans son cabinet de psy, pour dénouer les paroles. Sur un mois, l'auteur, noircit un carnet de note, archive et classe l'écho de voix diverses et la sienne. Vous ne trouverez aucun jargon, ni aucune étude classique ici. C'est l'occasion pour l'écrivain psychologue de s'adonner à un exercice de libre parole où toutes les digressions sont permises. La psychanalyse n'est pas morte, loin de là, ce livre en est la preuve tangible. Le discours éclaté et rafraîchissant qui va éblouir votre lecture vous permet un accès inédit à un lieu trop longtemps tenu pour sacré. Comme le note l'auteur, il s'agit ici d'«une prise de sang» pour passer de la pratique à l'écrit, une mise en scène des plus sincère, qui réinvente pour mieux transcrire des bouts de réalités et de soi-même. Nicolas Lévesque a repris la plume et c'est tant mieux, il est mon invité à Mission encre noire. Extrait: « J'ai donc repris la plume. Mon regard d'essayiste s'attarde, dans les notes qui suivent, à mon métier principal, celui de psy. Je n'y étais pas prêt, auparavant. Mais j'ai compris que je ne le serais jamais, ce qui fait toute une différence. Il m'a fallu l'observer longtemps, ce métier, pendant plus de deux décennies, avant de pouvoir réellement en tirer quelques esquisses, un croquis inachevé, imparfait, ce dessin que je te tends, lecteur, comme un enfant: « Tiens, c'est pour toi.» Portrait totalement infidèle, injuste pour mes patients et pour moi, non représentatif, mais conforme à une certaine expérience intérieure de cette pratique. C'est ici de l'art abstrait, plastique. Ne m'en veux pas trop, lecteur. Les artistes ont toujours dû s'excuser auprès de leurs modèles, auprès des vivants. Après vingt ans d'observation d'un paysage, le trait fidèle au paysage n'est plus possible, seule demeure l'encre qui coule depuis l'intérieur, ce coeur noir de la mémoire qui a trop vécu pour s'expliquer, se justifier, pour en faire un récit cohérent, une histoire bien ficelée. Seuls demeurent possibles un poème, un fragment de prose, un trait, une écriture-nuit.» Le couteau de Jo Nesbo paru en 2019 aux éditions Gallimard dans la collection Série noire. Jo Nesbo est devenu un incontournable pour toute personne qui aime le thriller. L'inspecteur Harry Hole est le personnage fétiche de l'auteur, et ce, depuis, 2002, en français. C'est un héros dur à cuire, alcoolique, dépressif, cynique qui est connu pour avoir plusieurs ennuis avec sa hiérarchie. D'ailleurs, dans ce nouvel épisode, il est réintégré dans la police criminelle d'Oslo. Pour être plus juste, il est mis au rencart, aux dossiers classés sans suite. Pourtant, il ne rêve que d'une chose, remettre en prison Svein Finne, son vieil ennemi, psychopathe du couteau, violeur en série, qui vient d'être libéré. Il outrepasse les ordres de sa hiérarchie et se met rapidement sur ses traces. Cependant, Harry Hole se réveille, un matin, avec du sang sur les mains le lendemain d'une bagarre avinée avec le tenancier de son ancien bar, le Jealousy. Ce n'est pas le sien. L'inspecteur est loin de se douter des terribles conséquences à venir pour lui et ses proches. Jo Nesbo, fan de Clash et des Ramones, déroule une toile impressionnante, passé maître en fausses pistes et en faux semblants, son personnage, Harry Hole, devra déployer du cran et garder son sang froid pour ne pas en devenir la proie condamnée. Habitué des défonces destructrices, il se peut que celle-ci lui soit fatale. Jo Nesbo ne vous lâchera pas, une fois de plus, vos nuits paisibles vous sont comptées. Extraits: « Harry retint son souffle. Il avait lu qu'il était possible de le faire si longtemps qu'on en mourait. Que la mort n'était pas due alors au manque d'oxygène,mais à l'excès de dioxyde de carbone. Qu'en règle générale, les gens n'arrivaient pas à retenir leur souffle au-delà de trente à soixante secondes, mais qu'un apnéiste danois avait tenu plus de vingt-deux minutes. Harry avait été heureux ; mais le bonheur, c'était comme l'héroïne, une fois qu'on avait goûté, une fois qu'on en connaissait l'existence, on ne pouvait jamais accepter totalement la vie sans. Car le bonheur est autre chose que la satisfaction. Le bonheur n'est pas naturel. C'est un état d'urgence trépidant, ce sont de secondes, des minutes, des jours qu'on sait ne pas pouvoir durer ; et le manque ne survient pas après, mais pendant. Avec le bonheur vient en effet la douloureuse notion que rien ne sera plus jamais pareil, et ce qu'on a nous manque déjà, on redoute la privation, la douleur de la perte, on se maudit de savoir ce qu'on est capable de ressentir.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min