Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 12 avril 2022

Mission encre noire tome 33 Chapitre 380. Armer la rage, pour une littérature de combat par Marie-Pier Lafontaine paru en 2022 aux éditions Héliotrope dans la collection K. La violence masculine ne connaît pas de répit! C’est une triste réalité que subissent des milliers de femmes quelques soient leur âge, leur ethnie, leur sexualité ou leur statut social. Marie-Pier Lafontaine imagine cet essai comme un combat, puisqu'une attaque est inévitable. Chaque phrase est un cri de rage lancé comme un uppercut à la face du monde. Car voilà la coupe est pleine, l’agression de trop sur le quai d’une station de métro de Montréal ravive chez elle le souvenir de ses traumas et autres flash-back de son enfance. Une histoire qui a servi de trame à la rédaction de son premier livre Chienne (2019 Héliotrope). Armer la rage c’est se donner les moyens de répliquer à ses agresseurs, de ne plus se soumettre à la loi sale et dégradante de la sauvagerie masculine pour citer Annie Ernaux. En boxe la posture à adopter est l’attaque. S'il y aura des plaies et des blessures, l’autrice vous assure que cela la propulse vers l’avant. Toutes les soixante-huit secondes un homme viole une femme aux États-Unis, toutes les dix-sept minutes au Canada. Puisqu’il faut prendre soi-même le droit de cogner la première, je reçois Marie-Pier Lafontaine, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Ce jour-là, j'ai su que je partageais les mêmes symptômes que des femmes qui, elles, n'avaient jamais été violées, que des adolescentes qui n'avaient même jamais été touchées: anxiété, crainte, hypervigilance, évitement, peur des ombres, méfiance systématique. Ces manifestations d'angoisse dans un monde régulé par la cadence de ses féminicides, où le nombre d'agressions sexuelles est élevé, où la violence misogyne est érotisé par la culture, ne surprendront jamais aucune femme trans ou cisgenre. Et surtout pas les femmes des Premières Nations et toutes les femmes de couleur. Nous savons toutes depuis notre plus jeune âge que nous pourrions être la cible d'attaques haineuses, que notre sécurité ne va pas de soi, qu'il faut la construire. Nous sommes nombreuses à connaître des survivantes agressées chez elles par des hommes de leur entourage, dans la rue. Des récits d'étudiantes harcelées par leur directeur de thèse. Un ancien professeur du primaire accusé de possession de pornographie juvénile. Une femme qui violente sa blonde. Nous avons entendu les histoires de viol qui se déroulent le long des pistes cyclables ou des voies ferrées. Nous savons que des cinéastes, des acteurs, des chanteurs, des humoristes agressent des dizaines et des dizaines de leurs admiratrices. Que des infirmiers abusent des personnes vulnérables et des handicapées dont ils ont la charge. Nous lisons aussi, des romans policiers. Nous sommes constamment soumises aux images de corps sortis défigurés des mains de conjoints narcissiques, démembrés, étranglés ou brûlés à l'acide. Les histoires de violence s'accumulent et les cadavres aussi. Les carcasses poignardées, les restes calcinés, les sacs mortuaires peuplent les scénarios de films d'horreur, les récits de tueurs en série, les traumas intergénérationnels, et s'ajoutent à toutes ces fois où l'on nous aura raconté la mort injuste et cruelle d'une enfant. Où on nous aura décrit les tortures qu'elle aura subies et sa disparition.» Mythologies québécoises sous la direction de Sarah-Louise Pelletier-Morin paru en 2021 aux éditions Nota Bene dans la collection Palabres, dirigée par Étienne Beaulieu. Née entre le débat constitutionnel et le référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec, Sarah-Louise Pelletier-Morin, doctorante en études littéraires à l’UQAM, a grandi avec l’idée que le peuple québécois avait une identité forte et un caractère propre. Pour comprendre la culture québécoise contemporaine, au-delà des clichés habituels et autres lieux communs, la langue française, le code civil, le passé catholique, l’hiver, le Hockey, il fallait réfléchir autrement. Comment brasser la cage d’une culture québécoise qui se révèle aujourd’hui plus complexe et plurielle que jamais? Après avoir découvert et lu le recueil de 53 textes Mythologies (1957) de Roland Barthes, l’autrice décide de proposer à 35 autrices et auteurs de relever le défi d’étudier la société québécoise par le biais de ses mythes. De la ceinture fléchée de Biz en passant par le t-shirt de Catherine Dorion, les québécoises de Martine Delvaux ou le phallus défaillant des postmodernes de Frédérique Bernier, ces petits riens de nos vie quotidiennes, en apparences bien inoffensifs, en disent long sur l’évolution des mœurs. Pour être en phase avec les nouveaux enjeux qui annoncent la nouvelle décennie 2020, je vous propose d'accueillir Sarah-Louise Pelletier-Morin, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Le menu est fixe. Aller à la cabane implique de ne pas penser de se laisser guider jusqu'à la fin de la partie, d'avoir confiance, d'avoir foi dans le chef, la serveuse, les convives. C'est une expérience de communication séculaire. Les plats sont déposés au centre de la table et on pige, on ne commande pas son petit plat, on ne commande pas tout court, ce qui change considérablement le rapport d'autorité habituel des restaurants. La serveuse s'occupe de nous puisqu'elle nous sert, c'est un rapport maternel, elle demande qui veut un verre de lait. Si on ne veut pas de tel plat, on attend le suivant. C'est un lieu pour être accueilli, c'est l'hospitalité québécoise incarnée, où seul ordre est celui de la forêt, qui a toujours été dans l'imaginaire occidental le lieu de la perdition, où il fait bon retourner de temps à autre pour se retrouver. Quand on s'assoit à table, on se corde serré et c'est compliqué de se lever sans faire lever les voisins de gauche et de droite, alors on reste assis et on mange. Les épaules se touchent, on mange vraiment ensemble, pour une rare fois. Les tables sont alignées comme dans une cafétéria scolaire, c'est un retour au camp de vacances le temps d'une soirée, avec la discipline en moins. On mange trop, on transgressait jadis le carême, mais on n'y pense plus, on mange du cochon, beaucoup de cochon, du gras de cochon frit, craquant dont la saveur grandit avec le blasphème de son nom, le carnaval québécois est ici, les fêtards se vautrent dans l'impur tout en s'enduisant de l'idéal de pureté sirupeux.»  

Feuille de route

Tous les épisodes

Mission encre noire 17 novembre
Émission du 16 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 371. Hantises, Carnet de Frida Burns sur quelques morceaux de vie et de littérature par Frédérique Bernier paru en 2020 aux éditions Nota bene dans la collection Miniatures. Un livre qui a reçu Le prix du Gouverneur Général en 2020 dans la catégorie Essais de langue française. Le mot littérature existe que depuis deux siècles et l’expression consacrée est de faire de la littérature. Qu'est-ce que cela veut réellement dire pour l'autrice ? À quoi s'engage-t-on en empruntant les sillages tortueux d'une pensée vivante, vivifiante et parfois dangereuse ? Il en va ainsi des rêveries et des hantises de Frida Burns, alter ego de l’autrice : Comment faire l’expérience du monde autrement que par la littérature? Comment dépasser l’horizon morne du quotidien sinon par la découverte de quelque chose plus grand que soi? Qui lit et pourquoi certains textes sont considérés comme littéraires? Ce livre assez court se veut un hommage à la littérature, «à la lecture-écriture comme une question de vie ou de mort, de vie et de mort, de mort au lieu même de la vie» dixit l’autrice. Je vous invite à tricoter, détricoter la langue, ce soir, en compagnie de Frédérique Bernier à Mission encre noire. Extrait:« Oui, parfois, on voudrait que la vie soit aussi à la hauteur de ce qu'on cherche follement dans les livres (où l'on a pris l'habitude de ronger son os, de courir après son foutu fantôme de chien). C'est aussi bête que cela. Avoir ce besoin criant en soi est la seule définition que je donnerai du mot «littéraire», la seule adhésion véritable que je peux avoir vis-à-vis de cet adjectif. Toute ma bibliothèque pour un parfait moment littéraire dans la «vraie vie», comme disent les enfants. J'avoue ici, je le sais, quelque chose d'inavouable, de gênant. Cela relève d'un romantisme de midinette. Madame Bovary, c'est moi. Je m'en excuserai pas. (Sauf quelques fois, entre parenthèses.) Car ce qui est gênant et honteux, de nos jours, ce n'est pas le sexe dans lequel tout le monde fait semblant de se vautrer pour être compté parmi ceux qui jouissent de la vie (je n'ai rien contre, cela dit, le sexe et jouir de la vie). Ce qui est gênant aujourd'hui, c'est l'amour, comme le relevait déjà Barthes il y a quarante ans, et peut-être plus encore d'afficher sans vergogne sa croyance en l'absolu. En un absolu littéraire qui, surcroît de ridicule, daignerait venir à notre rencontre, tel un ange déchu, dans la «vraie vie».» Aller aux fraises par Éric Plamondon, un recueil de nouvelles paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Aller aux fraises est une expression qui date du début du XXème siècle, qui compare le chemin aléatoire d’une personne qui cherche des fraises à celui d’un individu qui erre sans but, se promène en musardant. Éric Plamondon reprend la route vers ses souvenirs d’adolescence entre la Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches. Cap-Santé, Saint-Raymond, Donnacona, Baie-Saint-Paul, Saint-Irénée, Thetford Mines, Asbestos servent de décors à ces trois nouvelles tissées serrées. Aller aux fraises, c'est une histoire du père, une autre des années cinquante, qui fait oeuvre de légende locale et enfin celle du territoire: l'adolescence au Québec. Il existe parfois des distances plus longues que prévu entre l'adulte devenu et l'ado. Il faut croire que celles qui mènent de Portneuf à Charlebois, ou de Québec à Thetford Mines ont mis quelques années à trouver le chemin de la plume de l'auteur. Éric Plamondon nous invite à jeter un coup d'oeil dans le rétro de ses souvenirs de jeunesse au Québec. Il est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.  Extrait:« Au mois d'août, mon père et sa blonde, Sylvie, avaient pris la Transcanadienne en Renault Encore jusqu'à Vancouver pour visiter Expo 86, organisée à l'occasion du centenaire de la ville. J'avais la maison à moi seul pour trois semaines. Mon père m'avait laissé des Tupperware au congélateur - de la sauce à spag, de la lasagne, du pâté chinois, du chili con carne, des hamburger steaks, des pâtés à la viande. La Renault 5 était à ma disposition, je pouvais aller où je voulais quand je voulais. Pour la première fois de ma vie, c'était la liberté totale. Je pouvais laisser traîner la vaisselle pendant des jours, écouter de la musique à tue-tête à toute heure et vider un sac de chips au barbecue en plein milieu de l'après-midi en buvant du coke. J'ignorais encore, du haut de mes dix-sept ans, que dans très peu de temps il me faudrait pas mal plus que des décibels ou des sacs de chips pour avoir l'impression d'être libre.»
60 min
Mission encre noire 10 novembre
Émission du 9 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 370. Les racistes n’ont jamais vu la mer par Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban, paru en 2021 aux éditions Mémoire d’encrier. Yara El Ghadban et Rodney Saint-Éloi nous invitent ici à dialoguer. Les deux écrivain.e.s se livrent à vous, sous la forme d'un échange épistolaire, riche et bienveillant. À partir de leur propres expériences et de leurs souvenirs, chacun.e tente de répondre à la question du racisme. Librement l’une et l’autre nous régalent de mots, d’idées, de poésie et d’anecdotes, qui malgré le sujet vous feront voyager. L'urgence est de se raconter pour que les villes s'enrichissent d'une mémoire collective inclusive et rassembleuse.Comme il est écrit ici: peut-être qu’il est temps pour les blancs d’écouter, et que le moyen le plus sûr est de partager ces récits qu’on ne raconte pas. Poussons-nous sous l’arbre à palabres, ce soir, aux côtés de mes invités, Yara El-Ghadban et Rodney Saint-Éloi sont à Mission encre noire. Extrait:« Les femmes ont tant subi la violence de la langue qu'elles ont développé leur propre vocabulaire. Elles nous ont donné le mot mansplaining pour dire la tendance des hommes à vouloir expliquer les choses aux femmes, comme on le fait aux enfants. Il y a aussi le whitesplaining, ces conversations entre blancs et non blancs, où chacun doit respecter son rôle. Par la couleur de notre peau, par nos accents et nos histoires, nous sommes les pauvres, les malavisés, les confus. Nous sommes le fardeau des blancs et leur responsabilité de maîtres du monde. C'est aux blancs de nous guider vers la lumière, de nous apprendre les règles de la grammaire, nous montrer ce que c'est une vraie maison d'édition et ce que c'est un vrai éditeur. Il n'est pas Noir, et il ne parle pas créole. S'il fallait ajouter à cela une éditrice arabe qui écrit dans sa troisième langue, eh bien, c'est la recette pour un désastre ! J'aime cette confusion Rodney. J'aime les sourires condescendants quand tu insères le mot révolution dans tes phrases. Le subtil, «il n'est pas sérieux» ou«laissons-les à leur délusions, ces Noirs et ces Arabes».» Nous sommes un continent, correspondance Mestiza par Nicholas Dawson et Karine Rosso paru en 2021 aux éditions Triptyque dans la collection Difforme. Osons danser sur this bridge call home. Sachons prêter l'oreille à cette conversation passionnante qui vous demandera sans doute de ralentir un peu, pour mieux ressentir l'écho d'une voix unique, celle de Gloria Anzualda. À partir de ses réflexions, Karine Rosso et Nicholas Dawson reprennent un échange épistolaire amorcé avec l'ouvrage Se faire éclatée, expériences marginales et écriture de soi qui s’achevait précisément sur une citation de la langue enflammée de Gloria Anzaldua. Cette nouvelle rencontre est une invite à reprendre leur dialogue autour de l’œuvre de l’autrice d’origine texane décédée le 15 mai 2004 à Santa Cruz. Ce livre, c’est aussi l’histoire d’une amitié, l'une et l'autre nous offrent une traversée intime des continents pour «décentrer la parole blanche, unilingue et consensuelle qui domine les médias et la culture» comme le souligne Pierre-Luc Landry en préface. Nous sommes un continent appelle à un changement du monde et à ses façons de penser. Ce livre tisse des liens et il existe précisément pour vous permettre de ne pas rester sur le seuil des mutations économiques et sociales à venir. Je vous invite à découvrir cet espaces de tous les possibles, là où se cotoît toutes les marginalités: la frontière, en compagnie de Nicholas Dawson et Karine Rosso, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Buenos Aires (Argentine), 18 janvier 2019. Cher Nicolas, C'est la première fois que je t'écris à la main. Je suis toujours à Buenos Aires, dans un café situé en face d'une gare de banlieue. Je fume sur la terrasse en regardant les couples, les ami.e.s et les familles nombreuses aux tables voisines. La musique qui me parvient de l'intérieur du café (Amy Winehouse, Dirty Dancing) me rappelle ce que tu m'as écrit dans anti-gringo qu'on pourrait le croire. Contrairement à toi, je n'ai toutefois pas été en contact avec les milieux universitaires. Ici, mes ami.e.s et ma belle famille se déplacent en circulos militantes ou dans des espaces culturels alternatifs. Il est vrai que celleux qui ont été à l'université citent parfois Bourdieu, Lacan ou Chomsky, mais depuis que je suis ici, j'entends davantage parler del FIT (Frente de izquierda de los trabajadores) et du mouvement pour la légalisation de l'avortement. Cette année, des centaines de milliers d'Argentines sont descendues dans la rue pour défendre le droit d'avorter sans avoir à risquer leur vie. Munies d'un foulard vert, elles ont défilé jour et nuit devant le congrès. (Je m'interromps pour évoquer la femme et ses trois enfants qui passent en ce moment aux tables pour demander de la monnaie. Il y a dix minutes, j'ai acheté trois paires de bas pour 100 pesos à un jeune homme qui me disait «por favor señorita, ayudame»).»  
60 min
Mission encre noire 02 novembre
Émission du 2 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 369. Une autre vie est possible par Olga Duhamel-Noyer paru en 2021 aux éditions Héliotrope. La mère de Valéry est chef de cellule. L’appartement de la rue Bloomfield accueille volontiers des militant.e.s d'origine et de provenance variées. Micheline organise les distributions de tracts pour toutes les boîtes aux lettres du quartier. Certain.e.s camarades préparent des blitz d'affichages, pendant que d'autres préparent une visite à l'entrée des usines de textile de la rue Chabanel. Pour toutes et tous, un autre ailleurs est possible, un autre rêve est accessible : le communisme. Valéry y croit lui aussi, vraiment. Cuba, le Chili, l’Argentine et Moscou sont souvent de la fête jusque très tard dans son salon. La vie démocratique est heureuse, pour un temps seulement. Sur le chemin de la lutte, des choses reviennent dans le présent qui change, des déjà-vu ailleurs. Le grain de sable d’une rupture amoureuse a quelque chose de familier, trop peut-être. De quoi faire dérailler l’emballement des plus belles machines comme ternir le rêve du grand soir. Dressez les étendards, les marteaux et les faucilles, j’accueille Olga Duhamel-Noyer à Mission encre noire. Extrait:« Dehors, il y a la ville, la campagne et la forêt. Et de nouvelles rues sont tracées en périphérie, en banlieue. On ne voit pas toujours à quoi veulent en venir ceux qui les habitent. Des bungalows, des maisons neuves. Étincelantes de propreté. Beaucoup de ces maisons récentes sont bâties sur des parcelles où l’on plantait depuis longtemps des choux, des oignons, des carottes, des navets et des patates, tout en élevant des poules et quelques cochons. Et de grosses machines ont nettoyé des zones boisées qui n’avaient pas encore été défrichées. Les gens ont parfois cru bon de laisser ici ou là un grand sapin. Sinon ses grands-parents, Valéry ne connaît personne qui habite un bungalow. Dans les journaux, semaine après semaine, des articles présentent des maisons modernes avec les plans pour les construire. Son grand-père a fait bâtir une petite maison à partir de ce genre de plans. Le neuf promet un avenir heureux. On trouve en ce temps-là sur les étalages des magasins bien moins de choses qu’aujourd’hui. L’ironie est que les gens sont alors complètement hypnotisés par le fait qu’il y a davantage de tout. L’expression «société de consommation» continue de se répandre, elle permet de décrire ces montagnes de cadeaux que reçoivent les enfants. Les parents plus éduqués résistent un peu, offrent des jouets éducatifs, en bois le plus souvent. Tous les adultes sont frappés par le contraste avec leur propre enfance, par le nombre vertigineux de cadeaux qui sont offerts aux plus jeunes, par cette étourdissante abondance. Les militants ne sont cependant pas dupes, ils ne perdent jamais de vue la hideur du libre marché, sa monstruosité. Ils savent que la logique libérale implique l’exploitation pour être florissante. Valéry hait de toutes ses forces le capitalisme, la passion des garçons et des filles de son âge pour les vedettes le tourmente, la camelote des centres commerciaux lui fait le même effet. » Dans la solitude du terminal 3 par Éric Mathieu paru en 2021 aux éditions La mèche. Nathan Adler habite Ottawa, nous sommes en 1984. Lors d’une banale soirée d’hiver, rentrant chez lui, dans le quartier de Mechanicsville, à l’ouest de la ville, un chauffeur perd le contrôle de son véhicule. Il se fracasse contre un poteau électrique. L’homme bien habillé, un peu plus âgé que lui, est blessé. Il prends néanmoins la direction, à pied, d’une petite maison rue Bromley. Un lieu qui va devenir rapidement incontournable. Nathan y découvre un étrange manuscrit intitulé : dans la solitude du Terminal 3. L’homme et la voiture accidentée ont disparu soudainement. Parti à la recherche de cette énigme, il fera la rencontre d’un groupe qui gravite autour du fascinant et toxique écrivain Antoine Dulys. Il devine bien vite son insatiable envie de devenir un écrivain. Celui-ci s'arrange pour que le jeune homme lui soit redevable. Il cède plus souvent qu'à son tour, trop. La vie de Nathan s’apprête à partir dangereusement en vrille. Je vous propose de vous laisser aller à un dérèglement des sens, ce soir, à Mission encre noire en compagnie d’Éric Mathieu. Extrait:« J'ai dormi jusqu'à quatorze heures. J'avais vomi dans mon sommeil. Une petite flaque décorait mon oreiller et une odeur acide flottait dans ma chambre. J'avais mal partout, aux muscles, aux os, à la tête et j'ai eu de la difficulté à me lever. Dans la salle de bain, je me suis regardé longtemps dans la glace, étudiant d'éventuels changements surgis dans la nuit. L'ampoule au plafond dessinait des ombres bizarres sur le mur, mon corps était entouré de bâtonnets fluorescents et d'étincelles lumineuses. Mon visage et mes épaules se dédoublaient. Mes deux figures ont dansé devant moi pendant quelques minutes, puis je suis revenu à mes esprits. Mon quart était long et pénible. J'étais épuisé et il y avait un monde fou en salle, des clients exigeants qui n'étaient pas satisfaits de leurs plats et qui les renvoyaient en cuisine. Je faisais de mon mieux, mais je n'arrivais pas à me concentrer. Vers vingt et une heures, j'ai aperçu par le hublot de la cuisine qui donnait sur la salle du restaurant un homme assis dans un coin en train de lire le journal. Il ressemblait à Adam Benson. Je suis sorti de la cuisine pour aller m'accouder au bar. D'où je me tenais, je voyais mieux: c'était bien lui. Étrange coïncidence. Que faisait-il au Rubens?»
60 min
Mission encre noire 26 octobre
Émission du 26 octobre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 368. Une fille sans fusil de Paule Baillargeon paru en 2021 aux éditions Les herbes rouges. Huguette ne peut plus se taire. Où plutôt Huguette veut enfin parlé de ce qu’elle n’a jamais vraiment révélé. Huguette veut replonger dans ce passé peuplé de silence: sa sexualité. Elle est seule, enfermée dans ce conteneur, à regarder des images terrifiantes, sur la vie ordinaire et sur des souvenirs qui la poursuivent depuis des années. Quatorze fois, elle a été harcelée, touchée. Embrassée contre son gré, violée. À l’image de tant d’autres, elle se taira puis se relèvera, à chaque fois. Alors même si ses jambes se font vieilles, que le docteur a quitté la pièce, elle ne flanche pas. Voici le récit fragmenté, bouleversant de cette femme qui se refusera à la violence. Non, Huguette est cette fille sans fusil qui choisi ses armes, qui choisi l’art, la littérature, le cinéma, l’écriture pour apaiser sa souffrance, pour raconter. J’accueille ce soir à Mission encre noire, Paule Baillargeon. Extrait:« Dans ma mémoire, son image est diffuse, un homme grand dans la porte de la chambre d'hôtel. À paris. Je sors de la douche et je réponds à la porte. Je sais à peu près qui c'est. L'assistant qui vient indiquer l'horaire pour la journée, quelque chose comme ça. La robe de chambre fournie par le petit hôtel est bien fermée avec le ceinturon, et la serviette de bain enroulée comme un turban sur ma chevelure mouillée. Eh non, ce n'est pas l'assistant à la mise en scène venu me dire que nous sommes invitées, les femmes de la troupe, au défilé Chanel, quelle chance, Chanel, nous serons assises avec des actrices célèbres à regarder des jeunes femmes superbes défiler dans des vêtements cousus directement sur la peau, mais non, ce n'est pas ça, c'est le metteur en scène. Il est dans la porte et il dit, eh que j'te violerais toi. Après il parle encore, des morceaux de mots sortent de sa bouche, qui font semblant que les mots précédents n'ont pas été dits, tu vois je crois que dans la scène 28, tu devrais pleurer, pleurer pour qu'on t'entende, je te l'ai déjà dit, mais tu ne le fais pas, tu vois de quelle scène je parle, la 28, il faut que tu pleures. Ils font ça. Prétendre que ça ne s'est pas passé, que les mots n'ont pas été dits, que les gestes n'ont pas été posés.» Voyances par Anne-Renée Caillé paru en 2021 aux éditions Héliotrope. Que pensez-vous des lecteurs/lectrices de tarot, des astrologues ou des voyant.e.s ? Anne, la narratrice et alter ego de l’autrice décide de partir à la rencontre de cartomancien.e.s, de médiums et de devins. Pour faire suite à une carte blanche d’écriture sur la sorcellerie, n’ayant que très peu d’avis sur la question, l’autrice consent à s’asseoir dans un espace exigu, devant une théière, une petite tasse et des effluves enivrantes d’encens. D’ordinaire assez méfiante pour les choses relevant de l’ésotérisme, Anne prend des notes après chaque séance. Les cartes sont brassées. On lui fait des propositions attirantes et des promesses en pagaille. Malgré tout, la narratrice se laisse raconter. Peu à peu un autre récit fait surface, une autre analyse, un angle inédit d’envisager l’avenir jailli. Vous souriez ? Méfiez-vous, il se pourrait que vous sortiez égaré.e.s de votre lecture, car, après tout, malgré sa mauvaise presse, la voyance n'est-elle pas un autre moyen de mettre des mots sur le réel ? Venez jouer avec l'alignement des planètes ce soir à Mission encre noire, j’accueille Anne-Renée Caillé. Extrait:« Je suis partie sans dire que je rêve à peine, que je me souviens peu de mes rêves, depuis longtemps. La rencontre a été longue, plus longue que ce pour quoi j'ai payé, il y a eu beaucoup de cartes exposées, de lectures, de recommandations, en somme, cela va bien, cela va bien aller, même s'il a dit ne pas voir l'avenir, il me semble que mes court et moyen termes sont prometteurs, j'ai entendu «promesse» quelques fois. Je dois admettre que j'étais égarée en sortant de là, encore plus fébrile qu'à l'arrivée, je ne savais même plus si je devais faire comme prévu, l'écrire, il a d'ailleurs utilisé le mot «fébrile» pour décrire l'embrouillage des cartes, ensuite les cartes l'ont peut-être été moins, mais moi, davantage. Je retiens, s'il y a d'autres tarots à l'avenir, que je devrai venir avec des questions précises, des intentions moins camouflées, ou plus camouflées. Mais déjà j'ai exécuté une des prescriptions: J'ai tout noté.»
60 min
Mission encre noire 19 octobre
Émission du 19 octobre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 367. Pomme Grenade par Elkahna Talbi paru en 2021 aux éditions Mémoire d’encrier.  Le pire c'est l'amour, dit la poète Elkahna Talbi dans un recueil de poésie intime qui confronte les relations compliquées entre amants de différentes cultures, langue ou religions. Est-il possible de voyager en amour comme on immigre, en laissant tout le reste derrière soi? Comment savoir si l’autre, l’amant, est une terre arable ou stérile? Faut-il se perdre pour mieux se retrouver? Par quels chemins faut-il passer pour trouver son refuge à soi ? Comment laisser l’autre s’approcher, comment se laisser toucher, bouleverser par une autre personne sans réellement savoir si ce qui l’attire vraiment dépend de nous ou d’autre chose? Qu’est-ce qui se dissimule derrière les traits familier, trop familier du visage aimé? Qu’est ce qui s’éclipse derrière le h mal prononcé de habibi? Elkahna Talbi est à Mission encre noire, ce soir. Extrait:« Ma colère fraîche/dans l'allée d'épicerie/comprendre/face au fin fruit noir/tout ce qu'on a/dérobé à la vanille/nos histoires/éparpillées/sur la route/becs sucrés/goût amer.» Trou l'immortelle de Camille Thibodeau paru en 2021 aux éditions La mèche. Il y a 20 ans, le 28 octobre 1999 Abitibi-Consolidated annonçait la fermeture de son usine à Chandler, la Gapésia. Trinité Horth naît dans ce contexte de fin du monde. Le temps pour la Gazpézia de rajouter un z à son nom, Chandler de devenir candeur et pour Trinité de retrouver un souffle perdu dans le chaos de sa naissance à la veille de l’an 2000. Comment trouver sa place quand on a une face de truite n’a rien d’un conte de fée. Moquée, rejetée, Truite morte, ou simplement Trou, prendra la fuite à bord du char de Young Dick. Elle finira prostitué pour finalement échapper à son proxénète sous les conseils avisés d’une étoile de mer mauve. Camille Thibodeau vous offre une fuite irrésistible vers un imaginaire poétique foisonnant et drôle. Une fable marine immorale qui malgré un destin annoncé des plus funestes devient une quête de liberté. Aux frontières du fantastique, de la poésie et de la légende, j’accueille, Camille Thibodeau, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Truite Morte rentre à la maison avec des points d'interrogation plein la bouche, harcèle sa mère à coups de pourquoi les gars aiment les fesses qui chient, pourquoi les belles parlent juste aux belles, pourquoi ma face est drôle de même? Nancy n'aime pas répondre aux questions. Elle dit va voir docteur Chéri, va voir père Bizou, va voir Miss Univers, mais certaines questions ne se posent pas aux inconnus. «Maman, pourquoi papa j'ai pas ? - Adéodat est mort avec l'usine.» La nuit, Truite Morte s'échappe par la fenêtre de sa chambre. Elle traverse la rue Reine pour aller fouiller les ruines de la Gaspézia, sniffer la sale machinerie, le sol banni où rien ne vit plus sauf quelques plantes et insectes mutants. Elle regagne son lit, buzzée, avant le réveil de sa mère et de sa soeur aînée.»  
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