Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 17 mai 2022

Mission encre noire Tome 34 Chapitre 383. Mille secrets mille dangers par Alain Farah paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Alain se marie. Le 07 juillet 2007. À ses côtés en la crypte de l’oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal il y a Virginie bien sûr, mais aussi son père, sa mère, Édouard, son cousin mécanicien. Tout le monde est là. Le plus beau jour d'une vie. Pour lui, pour eux, pour elle. L’absente. Celle qui meurt à la fin comme dans toute bonne tragédie, Myriam, l’amie, l’aimée. Alors que Shafik Elias parcourt la salle du regard à la recherche de son fils, à la fin de son discours, c'est toute une vie qui se déroule sous ses yeux. Le temps semble vouloir s'étirer indéfiniment, les secondes et les minutes comptent double deux fois lorsque l'auteur s'empare de ce qui se trame hors cadre autour de la cérémonie. Certes, Il y aura l’air sur la corde de sol de Bach, le chœur des fiançailles de Wagner, puis la Marche nuptiale de Mendelssohn. Pourtant, Alain le double de Farah, ne se présentera pas en mustang blanche, il se brisera une dent au mauvais moment, quant aux anneaux en or dix-huit carats, ils se trouveront quelque part entre la boîte à gants de la remorqueuse et le quatrième étage de l’Oratoire Saint-Joseph. Mille secrets mille dangers est le récit de la journée de mariage d’un homme, qui n'a rien d'ordinaire, malgré lui. La preuve, il ne connaît même pas son vrai nom. Pas encore. Tout ce qu'il a voulu oublier ressurgira au grand jour. Quelle aubaine pour un écrivain ! Il lui faudra raconter toutes les histoires; même et surtout celles qui fâchent. C'est drôle, tragique et surprenant. Assis sur la bol des toilettes, dans un char les yeux dans ceux de son père, Alain Farah renoue avec des scènes oubliées, il trouve le ton parfait, se joue du temps comme de la forme, il fait de la littérature. Je reçois, ce soir à Mission encre noire, Alain Farah. Extrait:« Depuis des mois, je me couche de bonne heure, mais ça ne change rien: chaque soir je me mets au lit et je suis pris de frissons, de tremblements. Les plinthes chauffantes ont beau rester allumées en permanence, le frimas recouvre peu à peu les vitres de la chambre. Bénédicte s'est réveillée tout à l'heure, elle saignait du nez. Vir et moi regardions le téléjournal, et je l'ai vue apparaître du coin de l'oeil, petite silhouette claire dans la quasi-obscurité du salon. Je saigne du nez, papa, m'a-t-elle dit, me montrant ses doigts tachés de rouge. J'ai pris un mouchoir, je l'ai trempé dans mon verre d'eau et j'ai aidé ma fille à se nettoyer. Ça saignait déjà plus. Aux nouvelles, c'était les attentats de Charlie Hebdo. Notre appartement n'a rien de spacieux, quelques pas séparent le salon de la chambre de Bénédicte. Je l'ai raccompagnée jusqu'à son lit. Avant que je ne l'embrasse et retourne suivre le reportage, elle m'a fait promettre que je n'allais jamais mourir. Je suis là, mon amour, je suis là. Elle a hoché la tête et ajusté ses couvertures. Enfin, elle a fermé les yeux. Je me suis penché pour poser mes lèvres sur son front. Toutes les  nuits, depuis des semaines, je me réveille transi. Je sens la panique revenir: je tremble. Je jette un coup d'oeil à mon radio-réveil: peu importe l'heure, le temps est suspendu. Peu importe si c'est par le truchement de cet appareil que j'ai appris la mort de René Lévesque, la chute du mur de Berlin, le début de la seconde guerre du Golfe, ou encore, l'automne dernier, l'assassinat, près du cénotaphe à Ottawa, d'un réserviste par un jeune homme décidé à faire le jihad, l'histoire pour moi est figée.» Les rêves du Ookpik par Étienne Beaulieu paru en 2022 aux éditions Varia dans la collection Proses de combat. Qu’est-ce que le territoire? Même si les langues européennes, parfois, manquent de mot, Étienne Beaulieu s’y essaie. Un ookpik, une sorte de hibou fabriqué à la main avec une peau de phoque. Cette peluche offerte par son père souvent absent, devient le catalyseur de la réflexion de l'auteur. Pour le ramener symboliquement dans son foyer d'origine, le Nunavik, Étienne Beaulieu se donne pour objectif de retrouver la trace des ancêtres, de leur rêves. Elleux seul.e.s pourront mieux définir ce qu'est la terre. Ce qu'elle représente pour nous. Porté par un rêve inédit d'orignal lors d'un séjour dans la réserve de Matane, l'auteur saisie le message: rien ne doit être détruit. S’ensuit une des nombreuses réflexions qui traverse cette méditation écologique. Les rêves du Ookpik se révèlent être un exercice plus que nécessaire en ces temps où notre relation à la terre, au pays, à la nation semble plutôt misérable. Parler du territoire, c’est ainsi aller à la rencontre de tou.t.e.s ceux et celles qui y vivent, de tous ces peuples qui le constituent. Des premières nations aux inuit mais aussi les Vikings, les Basques, les Bretons, les européens, les colons et bien d’autres voix enfouies dans le sol depuis des siècles. Ils se retrouvent dans ces pages pour témoigner d’un imaginaire de la terre en exil depuis trop longtemps. Pour ce faire nous allons parler de forêt, d’art, d’amour peut-être en compagnie d’Étienne Beaulieu qui mon invité, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Je ferai ici une sorte d'ethnologie de moi-même, une enquête sur ma tribu si infatuée d'elle-même qu'elle oublie d'où lui viennent ses prétentions. Notre rapport au territoire se révèle de la même façon: nous habitons sur une parcelle de terre qui en sait plus long sur nous que nous-mêmes. Bedagi ou Big Thunder, un Abénaki qui vivait au tournant du XXe siècle, essayait d'expliquer à des Blancs interloqués, au soir de sa vie, que les arbres parlent, que la terre est une mère qui guérit par son chant. Le discours scientifique nous a appris à nous méfier de ce genre de prétention guérisseuse et de ce que l'on qualifiait jusqu'à tout récemment d'animisme, en désignant avec dédain ces croyances supposément infondées. C'est maintenant la science qui nous apprend exactement le contraire et c'est Bedagi qui avait raison et tous les Autochtones avec lui: oui, les arbres parlent, ils communiquent par un réseau fongique souterrain, ils partagent des ressources par leurs racines, se préviennent du danger, élèvent les plus petits, ont des relations, oui, la terre guérit, elle a le secret de tous les maux du corps et de l'âme. Difficile aussi pour des Occidentaux rompus à la critique scientifique de comprendre que le sol n'est pas seulement plein d'organisme microscopiques et d'animalcules imperceptibles. Il est surtout plein de paroles et d'histoires millénaires qui dorment là sous terre en attendant qu'on les raconte, qu'on les chante, que le rêve leur donne vie et puissance.»

Feuille de route

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Mission encre noire 08 février
Émission du 7 février 2023
Mission encre noire tome 37 Chapitre 402. Cocorico, les gars, faut qu’on se parle par Mickael Bergeron paru en 2023 aux éditions Somme Toute. Il est plus que temps de reconnaître que rien n’est figé dans une société, que les choses bougent, que les comportement évoluent. Qui aurait cru, il y a 20 ans, qu’un mouvement social sans précédent allait naître via, notamment, les réseaux sociaux. En effet, la première campagne hashtag Mee Too en 2017 a changé la donne. De Balance ton porc à #MoiAussi, ces campagnes ont révélé l’ampleur systémique de la violence commises à l’égard des femmes. Dans cet essai édifiant à plus d’un titre, Mickael Bergeron se propose d’abattre l’arbre qui cache a forêt, de débroussailler quelques clichés au passage et de pénétrer dans l’antre de la bête: la masculinité toxique. Il est temps en effet de nous prendre en charge, nous les hommes, de se dire ça suffit; changeons de disque. Osons enfin, nous parler des affaires qui dérangent : l’image de la virilité, la paternité, l’idéal masculin dans le sport ou dans les forces armées, les attentes dans les relations amoureuses ou dans la sexualité, dans les rôles professionnels ou sociaux, les sujets ne manquent pas. Loin d’être donneur de leçon, l’essayiste se met lui-même à nu, en multipliant les anecdotes personnelles et se garde bien de juger. Il est plus que temps de faire notre juste part aux côtés des féministes, qui elles, ne nous ont pas attendu pour s’affirmer. «Vous n’êtes pas tannés, les gars, de tout ce bordel» est-il écrit en préambule ? J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mickael Bergeron.
60 min
Mission encre noire 01 février
Émission du 31 janvier 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 401. Le monde se repliera sur toi par Jean-Simon Desrochers paru en 2022 aux éditions Boréal. De prime abord, il serait possible de se demander comment lire ce monde pluriel qui se présente à nous. Comment se détacher du fil invisible qui relie les nombreux personnages pris individuellement, qui à force de rencontres, de coïncidences nous amènent à une lecture possible du monde d’aujourd’hui. Alors que Noémie, au sortir d’un mauvais rêve cherche encore ses mots et s’inquiète pour elle et sa fille, au chapitre suivant, celle-ci, à 12 ans, éconduit son premier amoureux, William, qui tente d’incarner un nouvel idéal de masculinité moins toxique. Au prochain chapitre, c'est sa professeure, Madame Claude qui en subira les conséquences. Elle découvre les rumeurs colportées à son sujet alors qu’elle apostrophe un idiot qui lui coupe la voie avec son VUS sur le pont en quittant Montréal, Pierre-Luc prendra toute une section de texte pour se venger...ainsi de suite. La galerie de portrait qui se déploie de Montréal à Tchernobyl, Paris, Philadelphie, Rio de Janeiro, Addis-Abeba, Christchurch et Chittorgarh, nous donne à lire les esquisses familières de trajectoires de vie qui sont autant d’étoiles filantes dans un ciel encombré et menaçant. L’auteur réussit le tour de force d’incarner plusieurs voix, plusieurs émotions, plusieurs destins de papier en mode mineur. Il en résulte un formidable casse-tête, à la mesure des moments de vie dérobés à la lucarne du monde en marche, nous offrant ainsi une profonde réflexion sur ce qui nous construit, sur les lieux qui nous habitent. Si le roman s’ouvre sur une mémoire qui flanche, il n’est pas garantie que le film réalisé avec un cellulaire au final y changera grand-chose. Le monde souffre d'un manque criant d'empathie. Il en meurt sans doute un peu chaque jour, à chaque chapitre ? D’ailleurs s’achève-t-il vraiment ce roman? J’accueille Jean-Simon Desrochers, ce soir, à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 25 janvier
Émission du 24 janvier 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 400. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette année qui s’annonce. Une année que je vous souhaite riche en découvertes d’auteurices et d’œuvres inspirantes. Mission encre noire repart pour une saison d’hiver, la 400 ème pour être précis. Correlieu de Sébastien La Rocque paru en 2022 aux éditions du Cheval d’août ouvre le bal. Ce roman nous invite à rejoindre, la Vallée-du-Richelieu, près de l’atelier du célèbre peintre du Mont-Saint-Hilaire Ozias Leduc,et plus particulièrement dans celui de Guillaume Borduas, un vieil ébéniste approchant les 70 ans. Formé à la vieille école, il accepte, malgré ses vieux principes, de recevoir en stage, Florence, qui veut reprendre le métier après avoir subi un accident de travail. Recommandé par la CSST, elle doit faire ses preuves, ce retour aux machines est progressif, après avoir été touché par une lame rendu folle dingue à plus de quatre mille tours par minute. Même s’il a toujours travaillé seul, elle le rejoint dans le silence d’un matin blafard au milieu des grésillements d’un vieux poste de radio et l’odeur des planches brutes de pin, de chêne rouge, de peuplier, d’érable ou de merisier. Comme chaque vendredi, elle devra faire la connaissance et refaire le monde avec les vieux mononcles, fidèles en amitié, de Guillaume, et grands consommateurs de caisses de bière. C’est dans le miracle de cet atelier et de ses correspondances sensorielles que Florence s’invite à découvrir un monde éternel, qui se meurt, fait de gestes communs à apprendre, à harmoniser son souffle au rythme d’une respiration à contre-temps d’une époque à bout-de souffle. Avons-nous affaire à de la nostalgie ou à une volonté de vivre autrement, sans faire trop de concession à une modernité dévorante ? Toujours est-il que l’écho de 2012 et du printemps érable s’immisce parfois entre les ramures du Mont-Saint-Hilaire et les odeurs de gasoil de motorisés gigantesques en balades. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sébastien La Rocque.
60 min
Mission encre noire 21 décembre
Émission du 20 décembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 399. La faute à Pablo Escobar par Jean-Michel Leprince avec une préface de Bernard Derome, paru aux éditions Leméac. Bogotà la mal encarada des villes sud-américaine se trouve en haut d'un plateau andin. Le restaurant de l'hôtel Tequendama, où Jean-Michel Leprince a pris ses habitudes, a volé en éclats, sous une bombe des FARCS. en 2002. Si comme le souligne l’ex-présentateur de nouvelles, chef d’antenne et animateur de télévision Bernard Derome, La Colombie est le deuxième pays le plus riche de la planète en matière de biodiversité, elle est aussi l’un des pays les plus inégalitaire et violent. Tout commence, pour Jean-Michel Leprince, sous les bruits d’hélicoptères, de ceux qui tentent d’arracher des dizaine de personnes à la boue meurtrière qui a englouti la petite ville d’Armero due à l’éruption du volcan andin Nevado del Ruiz le 16 novembre 1985. Armero représente un baptême du feu grave pour le reporter spécialisé en politique étrangère et en défense nationale au Parlement d’Ottawa pour la télévision nationale de la Société Radio-Canada. La Colombie et l’Amérique latine vont devenir pour lui, depuis 37 ans maintenant, le lieu de découvertes et d’aventures inédites. Car voilà, ce pays, non seulement, reste un des rare en Amérique latine à avoir presque toujours connu une gouvernance démocratique, mais il s’est également construit sur la violence, le narcotrafic et la corruption. Un nom revient sur toute les lèvres, bien sûr, Pablo escobar ; une ville aussi, Medellin, qui battait les records du monde de meurtres sous son règne. Les écrits restent, dit-on, voici le livre d’une vie, la somme de plusieurs reportages, d’entrevues de terrain, publiés ici, contextualisés, dans le but de témoigner le plus précisément possible d'un mythe, de l'influence d'un homme sur un pays tout entier voire au-delà. Le journaliste grand-reporter nous offre un récit palpitant qui nous fait fréquenter les bas-fonds du crime organisé à l’échelle continental. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Jean-Michel Leprince.
60 min
Mission encre noire 14 décembre
Émission du 13 décembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 398. Von Westmount par Jules Clara paru en 2022 au éditions La mèche. Aline pointe en direction de la fenêtre, elle glisse le doigt vers le Saint-Laurent. Pour le reste, la vue est magnifique, ce versant de la montagne cachera néanmoins, toujours le quartier de sa famille. Elle se souvient, il y a un an déjà, comme chaque matin, sous un ciel gris du mois de décembre par – 24, elle embarquait pour ses quinze minutes d’autobus obligatoire. Elle appréhendait de commencer un nouvel emploi, dans un kiosque du marché de noël du centre-ville de Montréal, pour servir du vin chaud. Il lui fallait être aimable, dire merci/thank you plusieurs fois par jour à des touristes plus ou moins agréables, en espérant un pourboire improbable. Sourire et répondre parfait! à un chef d’équipe autoritaire et escroc étaient de rigueur. Il fallait bien payer les factures, le loyer et penser à son futur. Précisément son avenir immédiat étaient sombre, sa relation amoureuse avec James battait de l’aile et l'ambiance familiale ne valait guère mieux. Grâce à son amie Jasmine, elle travaille désormais pour une richissime famille russe, les Von Westmount, de leur vrai nom les Kroubetzkoy, pour s'occuper de leurs enfants, Alexander, Nikolas et la terrible Clémentine. L’autrice profite allègrement de ce portrait moderne d’une jeune femme ambitieuse chez les riches, pour inciser le canevas de nos soumissions quotidiennes si nécessaire au maintien d’une société inégalitaire. Ce n’est pas parce que la plume espiègle de l’autrice s’amuse à nous jouer des tours, à braquer la langue de Shakespeare, ou que le récit s’agite dans tous les sens, en territoire bourgeois, que nous ne sommes pas au centre du récit. Chacun.e en prend pour son grade. La rage couve, les murs de Wesmount tremblent, le feu menace au loin, l’autrice nous invite au pire, un verre de champagne à la main, le vin du diable. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Jules Clara.
60 min