Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 16 février 2021

Mission encre noire Tome 30 Chapitre 350. Le fantôme de Suzuko de Vincent Brault paru en 2021 aux éditions Héliotrope. Vincent de retour à Tokyo, quelques mois après le décès soudain de Suzuko, arpente Shðwa-dori. Le temps est magnifique, les rues larges et achalandées. Il la voit. Suzuko est là, elle tourne sur l'avenue Shin-Õhashi. Vincent s'accommode difficilement du sort injuste de sa disparition, son imagination lui joue des tours. À la mémoire est liée la douleur du passé. L'oubli est impossible. Il fréquente encore la galerie d'art contemporain d'Ayumi, il déambule le long du fleuve Sumida et son fameux marché aux poissons de Tsukiji. Rien n'y fait. La panique s'empare de lui parfois. Il se souvient alors de cette touffe de poil roux et blancs qui dépassait d'une petite caisse ramenée de la fourrière. Cette tête de renarde aux poils si fins, qui a tout changé entre eux. Depuis sa rencontre à Montréal, la vie est devenue une performance, celle de son amoureuse artiste. Il se brûle à l'illusion de pouvoir jamais oublier. Car cet amour a la taille d'une ville, d'un corps, si immense et fécond que son absence le laisse tel un survivant. Si ce n'est cette jeune femme, Kana qui rentre à l'improviste dans sa vie...Vincent Brault nous révèle les liens invisibles qui tissent la relation de ce couple iconoclaste jusque dans le deuil. Dans ce roman d'une sensualité folle, où se croisent une femme aux paupières incandescentes, un peintre serbe, une taxidermiste, des flamants roses et des corbeaux, une renarde et des chats sans queue, vous resterez suspendu au fil magnifique d'un récit baigné de mystère. Avec pour mot d'ordre: dévore-moi si tu peux. Retrouvons le mécanisme des rues de Tokyo qui vibrent à l'unisson de la plume habitée, de l'auteur, ce soir, à Mission encre noire. Vincent Brault est mon invité. Extrait:« Allongés sur le futon. Elle dessus, moi dessous. La lumière d'une lampe tamisée par un bout de tissu. Les rideaux tirés. Son corps nu, léger, délicat. Sa tête de renarde dans la pénombre scintillante. Sa truffe dans mon cou. La fourrure de ses joues. Ses crocs mordant l'arrière de mon oreille gauche. Ses gencives. De la bave. Une coulure épaisse et sanguine. Elle serrait trop fort les mâchoires sans faire exprès. J'ai voulu éloigner sa gueule de mon cou mais j'avais les poignets liés. Les chevilles aussi. Attaché aux quatre coins du futon tandis qu'elle haletait, qu'elle gémissait et mordait de plus en plus fort. «Attention, ça fait mal.» Mais elle a serré les dents plus furieusement encore. Comme un chien à qui l'on tente d'arracher un steak. Elle a grogné. Je me suis débattu en vain. J'étais bien attaché. Suzuko poussait mes épaules contre le futon avec ses mains. Ou non. Je n'avais pas réalisé qu'elle portait aussi les pattes de la renarde. Des sortes de gants lacés de la paume au poignet. Elle avait dû les enfiler à la salle de bain avant de venir me rejoindre sur le futon. Des griffes plus effilées que des aiguilles.» Suzanne Travolta par Élisabeth Benoit paru en 2020 aux éditions Héliotrope. Marie-Josée,  une scénographe sans grande envergure, soeur d'un acteur célèbre, s'est pendue dans son appartement du Mile-End à Montréal. Suzanne est sa voisine. Depuis le drame, tout le monde donne son avis sur la disparue. De la bouche de Suzanne, petit à petit le petit monde de ce quartier symbolique de la ville se dévoile. Lors des funérailles, elle fait la connaissance des gens qui ont entouré la défunte: sa meilleure amie, Georgia, son ami d'enfance Ray et sa vedette de frère, Laurent. Un constat se dégage, personne ne peut affirmer quoi que ce soit sur Marie-Josée, ou presque. Un revolver M37 chargé dans son tiroir de cuisine et beaucoup de pilules pour dormir, Suzanne éveille également la curiosité de deux détectives qui enquêtent et place une caméra dans sa salle de bain. C'est Bob qui mène l'étrange ballet de surveillance, personne ne le connaît, il est néanmoins le seul à rechercher qui est Suzanne désespérement. S'ensuit un assemblage de récits lucides parfois loufoques, un scénario déjanté peuplé de célébrité.e.s, de mère abusive, d'enquêteurs louches et de personnes affreusement seul.e.s. je vous invite, ce soir, à nous approcher de ces personnages en apparences farfelus et d'y découvrir des nuances subtiles qui font le charme de ce roman étonnant. Je reçois Élisabeth Benoit à Mission encre noire. Extrait: « Ray s'était assis sans dire un mot et moi-même je n'avais pas dit un mot, j'étais restée là, le coeur battant, mon livre à la main, tandis qu'il enlevait sa parka bleue. Il l'avait installée sur le dossier de sa chaise puis il avait bu deux ou trois gorgés de son café au lait sans me regarder. Il avait observé la scène autour de lui, le café un vendredi à 16 heures. Bruce et mark qui jouaient au pool, Vito derrière le comptoir qui discutaient à voix haute et tous les clients qui écoutaient malgré eux leur conversation. C'était une des façons qu'avait Vito d'asseoir son pouvoir. Ray avait fini par se tourner vers moi et m'avait demandé si je voulais quelque chose d'autre à boire, ou à manger d'ailleurs, ils ont du panettone et des biscuits, avait-il dit en jetant un coup d'oeil au comptoir où dix personnes au moins faisaient la queue. J'ai bu mon café ça va, je n'ai besoin de rien, avais-je répondu, et nous nous étions tus de nouveau. j'avais immédiatement pensé que ce que je venais de dire était brutal, je n'avais pu m'empêcher d'être brutale, comme d'habitude, il m'avait semblé comme d'habitude que j'allais dire quelque chose de tout à fait standard, ce n'est que lorsque j'avais fermé la bouche que j'avais réalisé que j'avais été brutale, comme d'habitude.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min