Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 15 mars 2022

Mission encre noire Tome 33 Chapitre 377. Prendre lieu de Karine Légeron paru en 2022 aux éditions Leméac. Les mains qui courent sur le bois sec et gris, fatigué de vent, de soleil et de sel de la mer pourraient aussi bien appartenir à Kelig Le Floch, à la veuve du capitaine Hugh Talbot Burgoyne ou bien encore à ce fils venu accompagné son père pour disperser les cendres d’un grand-père basque disparu trop tôt. Car voilà, Iels veulent voir cette côte monstrueuse, cette terre d’Espagne, nommée la costa da Morte, sur la côte galicienne, avec son rivage exposé directement à l’océan, là où commence le royaume des morts. Il suffirait, dit-on, de poser son front sur un rocher pour entendre les voix des nombreux naufragé.e.s. Les époques, les identités, les personnages s’agglomèrent et s’entrelacent, en autant de masques, derrière lesquels se dissimulent les sentiments de l’autrice. C'est la voix du passé, qui traverse cette écriture habile et sensible. En Galice ou ailleurs, l'autrice écrit sous influence. Celle des gens et surtout celle des lieux qui charrient des souvenirs: ceux de l’enfance, des paysages marins, ceux qui inspirent, à Montréal, autour du Carré Saint-Louis, ceux qu’on laisse derrière soi, malgré-nous, une maison familiale, un ancien amant. La mémoire s’égarera, sans doute, en quête de rituels à jamais disparu où l’éclat du réel reprend son dû. Érigé dans une perspective géopoétique, ce recueil est une invitation à découvrir nos territoires intimes, à traverser ces endroits qui nous bouleversent, à lutter contre les éléments et pour l'autrice, y puiser une formidable énergie créatrice qui lui fait dire: «Moi, minuscule mais tellement forte, Tellement vivante.» J’accueille, ce soir, Karine Légeron à Mission encre noire. Extrait:« Je suis rentrée. C'est ce que je dis maintenant, que je suis rentrée, comme on rentre à la maison ou chez soi, comme on revient à quelque chose de primordial. J'habite la ville et elle m'habite, nous en sommes là. J'ai parfois le sentiment qu'elle m'occupe tout entière, comme on est habité par une musique indélogeable ou une passion, et qu'elle me définit un peu ; ce sentiment m'autorise à rentrer à Montréal. Mais d'autres jours elle me rejette, et je m'y sens étrangère. Déplacée. Ces jours-là, je n'ai nulle part où rentrer. Je suis revenue depuis près d'un mois et Montréal me repousse. Entre là bas quitté et ici pas encore retrouvé, j'ai l'impression de vivre dans la fissure d'un entre-deux. Je ne retrouve pas ma place, mes repères. Ce qui coulait, fluide, accroche et contrarie. M'assaille, presque. j'avais oublié à quel point tout est bruyant, ici. L'océan ne se tait jamais, lui non plus, mais son bruit est répétitif et apaisant, à l'opposé du vacarme ininterrompu que génère la ville. Tout parle, tout hurle, tout m'agresse.» La revue Moebius 172, dirigée par Jennifer Bélanger et Alex Noël. «Il faut que tu ruines tout» est la citation-thème de ce nouveau numéro. Elle est tirée de L'amour à peu près de Dionne Brand (traduction de Nicole Côté), paru en 2017 aux éditions Triptyque. Comme à son habitude, la revue littéraire québécoise nous prouve encore une fois toute la richesse et la diversité des formes et des écritures d'ici. Si le contexte de la pandémie se débloque doucement, le poids de l'actualité mondiale, et en particulier l'ajout de celui de la guerre en Ukraine, tombent à propos pour encadrer la lecture de cette nouvelle édition. Les imaginaires des auteurices regroupé.e.s dans ce numéro 172 attestent de la gravité d'un monde qui part à vau-l'eau ou témoignent des ruines qui érodent leur quotidien. Que trouve-t-on au milieu des décombres ? Comment survivre aux violences qui nous assaillent encore au présent ? Comment réinventer les liens familiaux ou amoureux sur une terre dévastée? écrire sur les ruines, c'est penser à l'après, c'est aussi faire éclater les cadres établis, comme faire grandir en soi l'insurrection nécessaire pour pasticher rachel lamoureux, présente dans ce numéro. Jennifer Bélanger et Alex Noël sont invité.e, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« ma mère ne sait pas que la solitude qui nous accable est souvent celle que l'on s'est faite. elle ne sait pas que j'ai hérité de ses définitions déficientes, de ses mécanismes mortifères, que j'ai payé très cher des spécialistes afin de nommer en moi tout ce qui venait de là, d'entourer la crevasse d'un ruban jaune, de la condamner comme une zone inhabitable. il est possible, semble-t-il, si l'envie nous prend de vivre, de contourner ces lieux qui nous ont fondé.e.s, d'éradiquer en soi ce qui minait notre identité, car, vraiment, il est difficile de penser que l'on mérite respect et tendresse quand, de soi, l'on ne perçoit que cette béance faite de ressentiment d'inquiétude et de colère. je pensais que j'étais malade, malade de l'esprit, que mon corps déraillait, me trahissait, qu'il devait exister un remède à cela, une chimie du cerveau, une médication, une étiquette, un rien qui saurait justifier ce trouble, cette incohérence, cette aberration que je traînais un peu partout, en classe, au lit, à la table, ce corps de rien brûlant d'une hargne qui m'a fait connaître le sentiment d'injustice hors de toute loi. je suis au-delà de la loi, de l'ordre, je suis un enfant du chaos, car un parent absent est sans autorité, un parent qui n'accourt pas dans les moments de détresse se départit de toute crédibilité dans les moments d'allégresse. un parent qui n'agit pas en parent est illégitime. un parent négligent, avare ou calculateur est un parent destitué. je suis un enfant anarchique, un enfant révolté, à ne pas m'éduquer, l'on a fait grandir en moi l'insurrection.»    

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min