Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 14 mars 2023

Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.

Extrait(Ce corps) Il détermine à quels stimuli je porte attention, partout autour de moi. Quand je vois une pub qui capitalise sur l'image de la femme, je tombe dans le piège des codes qui font vendre. Ma conscience féministe s'entre-déchire. J'observe les corps des mannequins, je suis appâtée par elles même si je songe au fait qu'elles pourraient casser en deux sous le poids d'un sac à dos. Je me surprends à rêver de me blesser de la sorte. J'aimerais avoir le luxe de choisir d'adhérer ou non à ces codes. Mais confinée à la marge, je jongle entre colère et envie. Vouloir le même corps qu'elles, mais ne rien faire pour y arriver. Vouloir que tous les corps aient leur place dans la société, mais encore ne rien faire, mis à part pondre quelques lignes revendicatrices pour apaiser temporairement ma rage. Je stagne parce que l'autodestruction est un pauvre vecteur de changement. La haine consume toute l'énergie dont j'aurai besoin pour me construire, me révolter - ou les deux.»

La Revue Moebius 176, un numéro spécial 45 ème anniversaire intitulé « Quand nous nous voyons nous savons», une citation de Jean-Paul Daoust Tirée de «Mais cette lettre est une belle extravagance» datant du Moebius 120 de 2009. Joyeux anniversaire la revue Moebius! Crée en 1977 par Pierre Desruisseaux, Raymond Martin et Guy Melançon, la revue se veut être un laboratoire d’écriture, un foyer de culture qui valorise autant les formes et les genres littéraires les plus varié.e.s, que la mise en scène de la subjectivité et l’expérimentation. Passée de main en main, d’une direction littéraire à une autre, Moebius a su se renouveler et se révèle depuis, un creuset exceptionnel pour accueillir les nouvelles voix d’ici et d’ailleurs, pour désencastrer les imaginaires, dépoussiérer les héritages égarés. De cet esprit d’audace et disons le, de style, la revue vous donne bien souvent l’occasion de découvrir les premiers textes inédits d’auteurices confirmé.e.s, ou en devenir. Gérald Gaudet, Fiorella Boucher, Gabrielle Giasson-Dulude, Julien Guy-Béland, Sanna, Denise Desautels, Catherine Parent, Flavia Garcia, Louise Marois, Karianne Trudeau-Beaunoyer, Justice Rutikara, Jean-Paul Daoust, Caroline Dawson, Marie-Celie Agnant, Valérie Savard, Jeannot Clair, Nelly Desmarais, et Virginie Fauve , sous la direction éclairée de Nicholas Dawson et Alex Noël, toutes et tous se prêtent au jeu de la correspondance, à l’image de la rubrique culte qui paraît à chaque numéro de la revue, la fameuse lettre à …. Chaque voix s’élance fébrile ou assurée, traverse les genres et les générations «dans l’obscurité fertile de la littérature», comme annonce le préambule. J’accueille les deux chefs d’orchestre de ce bal d’anniversaire littéraire, à la baguette, ce soir, à Mission encre noire, Nicholas Dawson et Alex Noël sont nos invités.

Extrait Je ne suis encore jamais allé voir l'océan des arabesques ni les champs de la Palestine pour me reposer à l'ombre d'un olivier un après-midi après une récolte. Je n'ai jamais couru un matin dans les rues de Londres ou parcouru les collines fraîches de Ramallah pour déguster un thé à la menthe en récitant les poèmes de Darwich. Je n'ai jamais surveillé l'horizon du Moshav de Kfar Malal avec un fusil allemand ni attendu désespérément le réveil de mon père tombé dans le coma. Et pourtant, je comprends ce que c'est d'être un enfant déraciné qui rêve en couleur de prendre sa place dans ce monde trop grand, mystérieux et souvent absurde. Né au Rwanda, à quelques mois de la tragédie nationale de 1994, je suis depuis un exilé de ces terres qui ont pourtant façonné des générations et des générations de mes ancêtres. Malgré cette perte, à une dizaine de milliers de kilomètres de ces mille collines, je songe et réalise des histoires cinématographiques qui m'aident à valider mes sentiments uniques et pourtant partagés avec tant d'autres individus de ce monde. Je comprends ce que cela signifie d'être un.e adulte au passé lié à la guerre et au déplacement et qui préfère poétiser ses tourments à travers des fictions au lieu de les reproduire fidèlement. Je comprends ce que c'est d'être un homme-enfant d'expatrié.e.s dont le peuple a été persécuté et consumé par la haine jusqu'à devenir prédateur d'humains.»

Feuille de route

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Mission encre noire 30 novembre
Émission du 29 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 396. Les allongées par Jennifer Bélanger et Martine Delvaux paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Les deux autrices confessent être prise en otage par des douleurs et des fatigues chroniques, si brutales parfois, à vous laisser le souffle court. Comment témoigner de ce qui échappe au regard, de ce qui ne se partage pas,voire jamais ? À quoi ressemble le monde vu d’un lit, cet étrange objet, lieu grave s’il en est, lieu de naissance, de passion, de désir, de mort, de souffrance et aussi d’oubli. Car voilà, comment peux-t-on avoir une vie quand on la subit couchée? Martine Delvaux et Jennifer Bélanger s’entourent d’autres femmes, écrivaines, artistes, amies, mères, filles, amantes et soignantes pour rendre hommage à toutes celles qui plient sans doute un peu plus chaque jour sous le poids de leur plaies et blessures ; les accidentées, les insomniaques, les survivantes et qu’on invisibilise encore trop souvent. Les voix de ces femmes qui luttent, se rebellent, s’arc-boutent devant un monde qui préfère les reléguer aux rôles de paresseuses, d’hystériques ou de martyres cinglent les pages de ce court essai. Même si leurs corps les obligent à ralentir, les deux autrices ne renoncent surtout pas à redonner une voix à celles laissées pour mortes. Pour toute une famille élargie de résistantes, il reste le rêve et l’écriture d’autres récits, j’accueille, à Mission encre noire, Jennifer Bélanger et Martine Delvaux.
60 min
Mission encre noire 23 novembre
Émission du 22 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 395. J’étais un héros de Sophie Bienvenu paru en 2022 aux éditions Le Cheval d’août. Yvan, 62 ans et Miche, sa colocataire-sa blonde, se retrouvent démuni.e.s aux urgences d’un hôpital pour recevoir un diagnostic sans appel. Yvan a passé sa vie à se détruire, Miche aussi d’ailleurs, étant devenue alcoolique comme lui. Il est tout seul, il l’a toujours été, sa vie aura été ça : un amas d’affaire ratées et d’occasions perdues. Ça fait 20 ans qu’il n’a pas revue Gabrielle, sa fille. Il ne lui a même jamais donner son numéro de téléphone.Que pourraient-ils se dire de toute manière? Pourtant dans le temps, il était son héros. C'est lui qui le dit. Son rire d'enfant faisait de lui un surhomme. Heureusement, aujourd'hui il lui reste encore un chat trouvé dans les poubelles et Miche qui l'ennuie. Il fait ce qui lui tente l'animal, il est libre, il est maître de son destin. Ça lui plaît ça, à Yvan. Rien n'est moins vrai. Sophie Bienvenu nous dévoile le portrait d’un homme blanc, d’un baby boomer, prisonnier des rôles qu’il s’est imposé. Il vient d'une génération qui se sait malhabile avec les émotions et qui préfère encore les silences ou les baisers de feu de l’ivresse pour colmater les cicatrices du passé. Enfant quand on a le goût de pleurer devant Lassie, de jouer avec les petites filles à la poupée, et, plus tard, de vouloir porter des pantalons rouges comme Bowie, ça marque quand même son homme. Que reste-t-il de tout cela au final? Comment enfin prendre la parole avec sa fille? Peut-on pardonner après si longtemps? Je reçois Sophie Bienvenu, ce soir à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 09 novembre
Émission du 8 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36, Chapitre 394. Niagara par Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Ici nous sommes en présence de la voix de la narratrice au pied des célèbres chutes, l'eau et ses remous se déchaînent. Elle guette encore au bord du parapet l’apparition improbable de la silhouette fantomatique de sa mère, morte depuis belle lurette, dérivant au long des rives des grands fleuves du continent américain. Car voilà, ce deuil, éveille en elle, un rêve insensé, que ce soit à partir des photos de son enfance, lors d’une première visite à Niagara en 1964, ou bien à la suite d'une citation de marguerite Duras, la narratrice voit encore et encore, le corps aimant disparaître sous les écumes et rejoindre les berges du Mississippi. Marquée par le séisme provoqué par cette perte, elle y puise une inspiration inédite, qui, sur le modèle de François-René de Châteaubriant, ou est-ce peut-être Flaubert, Mallarmé ou même Jeff Buckley et bien d’autres, lui permet d’élaborer de véritables Mémoires d’outre-tombe. Se dessine, alors, sous la plume espiègle et badine de l’autrice, un portrait tout aussi jouissif que douloureux, de ce qui fonde, il faut bien se l’avouer, un héritage littéraire. Plouf, donc, sillonnant le territoire nord américain des songes, Catherine Mavrikakis s’amuse à dégringoler ces chutes, car c’est à Niagara qu’elle contracté la maladie de la mort. De quoi s’agit-il au juste? J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Catherine Mavrikakis.
60 min
Mission encre noire 18 octobre
Émission du 18 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 393. Candy par Benjamin Gagnon Chainey paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Lorsque la nuit se drape de faux-semblants, Candy, drag queen, multiplie les numéros au cabaret Rocambole à Villecresnes. Dans sa loge, elle se prépare à la gloire, à danser et à chanter en pleine lumière. Thierry meurt un peu plus chaque nuit pour laisser éclore la glamoureuse étoile qui naît sous les yeux ébahis de la foule en délire. Et si le cabaret commence à bander, c’est pour son Mathurin qu’elle tremble. C’est pour lui qu’elle chante, c’est pour lui qu’elle va fuir ces bas-fonds. Mathurin et sa femme fatale vont se déguiser en courant d’air et mettre le cap sur le paradis en talons haut. Une ombre distordue les attend, cependant, au détour d’une rue. Une hideuse vieillarde, porteuse de malheur, qui ricane et toussote. Ils commettront leur premier meurtre. Déclarés coupables, les amants briseront pourtant leur chaîne et ils s’uniront pour le pire car l’enfer est pavé de bonnes intentions. Conte d’amour pour adultes et vacciné.e.s, cette cavale du tonnerre déroule son tapis rouge avec style et emphase, dans les plis duquel, il se pourrait, que l’éternelle Divine de Jean Genet se prenne les pieds. Candy, la vie contée d’une Notre-Dame-des-Fleurs enceinte d’un fruit d’amour impossible, devient un fascinant lieu de passages entre les identités, la réalité et la fantasmagorie. En route, donc, pour l’Eden. Faites gicler strass et paillettes, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Benjamin Gagnon Chainey.
60 min
Mission encre noire 11 octobre
Émission du 11 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 392. Que notre joie demeure par Kevin Lambert paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Céline Wachowski jette un regard circulaire sur les invité.e.s. sous l'immense lustre qui pend au plafond. Le Mont-Royal est à deux pas à vol d'oiseau, on pourrait le toucher. Lorsque l’on est une des femmes les plus influentes du monde, il faut se méfier du quand-dira-t-on, ce sont des choses à considérer. Surtout que le complexe montréalais Webuy est sur le point d’être inauguré. Pure produit des Ateliers C/W, situé au 305 rue Bellechasse, cet immense projet suscite bon nombre de critique au Québec. Cette femme de 70 ans qui anime une série culte sur Netflix, dont le portrait est croqué par Joan Didion dans le Harper’s Bazaar, est l’icône d’un monde bourgeois qui évolue en vase clos. Un gotha qui s'ébroue loin de vous, loin de moi, loin de la rue où la menace gronde. Cette classe dominante montréalaise, Kevin Lambert la saisie ici dans toute sa démesure et sa décadence. Sauriez-vous dire pour autant de quoi ils/elles parlent? Comment envisagent-ils/elles la vie? De quoi sont faites leurs angoisses? L’écrivain dissèque les pensées de notre jet-set au scalpel, tout en faisant jaillir l’éternelle histoire d’un capitalisme avide et destructeur. S'agirait-il de son livre le plus politique ? S'agissant de la lame de l’auteur, elle est parfaitement aiguisée et son fil est empoisonné. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Kevin Lambert.
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