Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 21 mars 2017

Mission encre noire Tome 19 Chapitre 245 Infirmes de Yoan Lavoie paru en 2017 aux éditions Triptyque. Martin est handicapé moteur asocial, l'autre, Yoan, dans la dèche, vivote à la recherche d'émotions fortes. Ils se rencontrent dans les couloirs de l'université. Alors qu'il tente d'obtenir un diagnostic de TDAH, Yoan aide Martin dans son périple d'étudiant inadapté. Tout est affaire de handicap ici. Du haut de son vaisseau amiral roulant, fusant à la vitesse de la lumière dans les couloirs, Martin percute l'astéroide Yoan de plein fouet. Entre l'étoile noire du No future de l'un et le sans espoir de l'autre, cette rencontre presque héroique, de deux grandes gueules de la vie, va se sublimer malgré les attitudes et les regards misérabilistes. Dialogues dans ta face, une collection de punchs sales qui déroutent parfois, l'écriture impudique de Yoan Lavoie fait l'effet d'un alcool fort. La justesse du propos sur ces éclopés de la vie ne s'embarrasse pas de fioritures, l'efficacité des situations ne fait pas défaut dans ce premier roman surprenant. Laissez votre pudeur de côté, Mission encre noire accueille Yoan Lavoie en entrevue pour un dialogue téléphonique intersidéral. Extrait:«C'est grave comme ce gars-là me fait penser à un gars chaud. La mimique, le manque d'articulation, le chambranlement, le radotage...tu lui mets une grosse bière dans la main et l'illusion est parfaite. Il sacre comme un gars de taverne, pue comme un gars de taverne, mange comme un soûlon à 3 heures du matin. Au fond, Martin est un peu comme un vieux chum de brosse. Le genre de vieux chum devant qui on se voit toujours mieux que ce qu'on est pour de vrai.» La chair de Rosa Montero paru en 2017 aux éditions Métailié. Soledad, soixante ans, se rebelle contre la tyrannie du temps qui passe. Et pourtant, cette éternelle séductrice a tout pour elle: un bel appartement à Madrid, des amitiés qui comptent dans le milieu culturel, un métier valorisant de commissaire des expositions pour la bibliothèque nationale. Sa peau se flétrit, ses conquêtes se conjuguent au passé et pardessus tout son amant la quitte pour une plus jeune et lui fait un enfant. Folle de rage, elle trouve, à ses risques et périls, une parade des plus inédite. La chair goûte le fruit défendu, un roman clair-obscur fait de passion pour la vie, pour les mots/jouir, qui apaisent, séduisent et peuvent faire perdre la tête. L'auteure madrilène nous charme une fois encore avec une écriture épicurienne et succulente dans un thriller érotico-sentimental à croquer avec concupiscence. Extrait:«Ce n'était pas vrai que cela ne comptait pas pour elle, à quel point Adam était beau, ce corps puissant qui frôlait le miracle. Elle recommençait déjà à se raconter un stupide conte de fées. Soledad, malheureusement, n'aimait que les beaux garçons. Elle voyait parfois dans la rue des couples risibles en train de se câliner. Des types aux fesses tombantes et affreusement bedonnants que leur petites amies contemplaient avec éblouissement, ou bien d'horribles géantes aux pattes gélatineuses auxquelles de minuscules petits amis très aimants se collaient, comme des rémoras accrochés à l'échine d'un cétacé. Soledad les enviait. C'est-à-dire qu'elle enviait leur capacité de résignation. Le portable vibra. Il y avait une réponse:«Quelle joie ton message. J'ai envie de te voir. Quand tu veux.» Le manifeste des femmes: pour passer de la colère au pouvoir paru en 2015 aux éditions Québec Amérique. Alors que les conservatismes de tout bord, de par le monde, nous menacent d'un avenir qui se conjuguerait au passé compliqué, 16 auteures(s) bouscule l'ordre établi. Une trentaine de pages salutaires à consommer sans modération, un manifeste dont la lecture devrait être obligatoire. Voici un rappel de lecture nécessaire pour apprendre à conduire en terrain accidenté, dans une société qu'il nous tarde à toutes et tous d'humaniser. Extrait:«Nous sommes nombreuses, nous sommes jeunes et vieilles, autochtones et immigrantes, nous sommes des villes et des villages, d'abord citoyennes. Nous sommes Québécoises et nous exigeons de partager la direction du Québec, nous voulons en inspirer l'avenir et le nourrir à notre façon. Nous en appelons à tous et à toutes, à ceux qui tiennent les rênes des pouvoirs, à celles qui n'osent pas encore lever la voix et la main.» Serial Krimes de Stéphane Bourgoin paru en 2017 aux éditions Grasset. Un ovni, que ce livre, ni roman, ni essai, ni encyclopédie, 193 assassins et plus de 5700 meurtres, cela peut donner le tournis et faire froid dans le dos. Tout l'intérêt d'un tel ouvrage réside dans la personnalité de son auteur. Témoin malgré lui du meurtre se sa petite amie dans les années 70, Stéphane Bourgoin est devenu une sorte de spécialiste mondial, reconnu, des tueurs en série. Il faut avoir le coeur bien accroché pour approcher ses pages imprégnées d'une réalité brute. Les sériel killers sont un phénomène réel, aussi bien que médiatique. Pour ne pas oublier ce qui les rends humains après tout, ces personnalités cassées que l'on qualifie de monstres, Stéphane Bourgoin a fouillé ses archives pour nous les présenter sans fard. Extrait:«1er Août 1966: installé au sommet d'une tour qui surplombe l'université du Texas, à Austin, l'étudiant Charles Whitman tue, en une heure et quarante-six mnutes, seize personnes et en blesse quarante autres, avant d'être abattu par la police. Dans une note laissée chez lui, auprès des cadavres de sa mère et de son épouse, Whitman déclare:«Je suis prêt à mourir. Après ma mort, je souhaite qu'on effectue une autopsie de mon corps pour voir si je souffrais de désordres mentaux. La vie ne vaut pas le coup d'être vécue.» Son souhait est exaucé: l'autopsie montre que Whitman possédait une tumeur dans la région de l'hypothalamus du cerveau.» 

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min