Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 26 mars 2019

Mission encre noire Tome 25 Chapitre 306. Le pourboire de Philippe Chagnon paru en 2019 aux éditions Triptyque Collection Encrages. Au moment où l'hiver semble ne plus vouloir se terminer, un narrateur, sa blonde et ses parents prennent un avion pour le Mexique. Alors qu'il goûte à l'accueil de l'hôtel Fiesta Americana Condesa, un «tout compris» sur le bord de l'eau, aux allures de complexe central du Parc Jurassique, une angoisse terrible le saisit: il a omis de laisser le pourboire de bienvenue. Au-delà du sentiment de culpabilité qui grandit en lui, c'est l'ensemble du séjour qui va brusquement changer de registre. Voici un petit bijou de roman, même si la banalité du propos peut interpeller, à priori, l'écriture sinueuse et limpide de l'auteur va transcender ce banal voyage en une succession de fausses pistes, toutes bonnes à prendre. L'écriture minimaliste ne vous épargnera aucun des détails du lieu, jusqu'à l'écoeurement. Et pourtant, Philippe Chagnon va vous faire goûter le sentiment de joie pure d'être en adéquation avec un monde si familier, si loin, si proche, qui vous fera, peut être frémir de plaisir ou de nausée. Il est notre invité à Mission encre noire. Extrait: «Environ trente minutes plus tard, on appelle enfin notre numéro de vol au micro. Nous prenons nos sacs et nous nous dirigeons vers la porte où il faut encore une fois présenter notre passeport et nos billets. La file est longue et nous avançons lentement. Je remarque que la majorité des gens qui étaient assis dans notre section sont maintenant debout, devant ou derrière nous. Après avoir présenté nos documents à un préposé, nous avançons dans un long corridor en accordéon qui rapetisse en largeur au fur et à mesure qu'on se rapproche de l'avion. Lorsque c'est à mon tour d'entrer, je dois encre présenter - eh oui ! - mon billet pour qu'on puisse m'indiquer que mon siège est quelque part vers la droite. Mes parents se dirigent du même côté que nous et nous nous souhaitons un bon voyage lorsqu'ils trouvent leurs sièges et qu'ils y prennent place. Sophie et moi continuons à descendre l'allée avant de nous arrêter environ huit rangées plus loin. Assis côte à côte, nous sommes heureux de constater qu'il n'y a personne d'attitré au siège libre qui donne sur l'allée.» Moebius 160 «Déposer ma langue sur un crochet, crier enfin: «je suis rentrée à la maison!». C'est la phrase thème de ce magnifique numéro 160 du magazine Moebius. La couverture cartonnée et colorée est l'oeuvre de Julie Delporte, qui, souvenez-vous, a publié sa lettre à Pattie O'Green dans le numéro 158 de la revue. Elle est l'artiste en résidence. Ce nouveau numéro est piloté par Jeannot Clair et Karianne Trudeau Beaunoyer. Pour celles et ceux qui n'ont pas eu la chance de découvrir Lucille de Pesloüan avec ses premiers textes parus dans le fanzine miniature Shushanna Bikini London, Cherry Bomb vous propose une collection de vignettes souvenirs dans un style très proche. Elle est l'autrice en résidence. Stéphane Martelly nous parle d'écriture, Catherine Mavrikakis s'adresse à Philippe Forest et rêve de ne pas pleurer en lui parlant. Vous découvrirez d'autres pépites inédites de Marise Belletête, Mahité Breton, Martina Chumova, Laurence Gagné, Martin Hervé, Louis-Philippe Labelle, Anthony Lacroix, Guylaine Massoutre, Francis Paradis, Diane-Ischa Ross, Kaliane Ung et Mathieu Villeneuve. Le numéro 160 est d'ors et déjà disponible en kiosque. Extrait: «J'ai essayé de m'entraîner à garder le silence. À ne plus me laisser aller en bavardages flasques et inutiles. À imposer une tenue digne à ma parole. Une belle colonne vertébrale bien droite. Du logique. Du lumineux, celui des ampoules halogènes éblouissantes. Du nettoyé de toute scories niaise. De la crête de montagne bien dessinée, proprement découpée par la bise du nord, avec un grand philosophe posté sur l'éperon le plus haut ; non pas de ces crêtes biscornues chiquées de lichens qu'on rencontre dans nos contrées sans hauteur. Oui, j'ai essayé de m'entraîner rigoureusement. Vous aurez déjà pu le constater: j'ai échoué.» Cadillac de Biz paru en 2018 aux éditions Leméac.Tout est histoire de filiation ici. La mort de son grand-père Théodule et la naissance à venir de son fils perturbe Derek. Lui qui aurait dû patiner sur la glace en LNH pour le compte des Red-Wings de Détroit, coule une vie paisible à vendre des caddies dans le West Island. Il décide de quitter ses chums de l'aréna Mont-Royal, sa blonde enceinte et sa concession Cadillac pour une escapade sur les traces de ses ancêtres pour se refaire une santé. Il décroche le dernier chandail du fond de sa garde robe, celui des Red Wings avec Lamothe dans le dos et file vers le Paris du Midwest: Détroit. Ce court roman d'à peine cent pages vous donnera certainement l'envie de prolonger le travail de l'auteur. Pour Biz, les québécois.e.s d'aujourd'hui portent en eux/elles, les victoires et les défaites de leurs ascendant.e.s, une identité façonnée par de multiples vécus. Extrait: «Derek quitte l'île de Montréal dès 6 heures le jeudi matin. À l'inverse du trafic, la circulation est fluide sur la 40 ouest. Go West, young man. Direction le Pays-d'En-haut. Sur une carte, façonné par les lacs Huron et Michigan, l'État du Michigan ressemble à une mitaine gauche, Détroit étant situé sur la partie extérieure de son pouce. À part l'Alaska, C'est le seul endroit où le Canada est au sud des États-Unis. Le bassin des Grands Lacs, c'est littéralement le coeur de l'Amérique. Un réseau artériel irriguant la moitié d'un continent. Avec 18% des réserves mondiales, c'est la plus grande source d'eau douce au monde. De mémoire de Lamothe, la grande-route l'a toujours apaisé. Pendant son hockey junior, il a sillonné tout le Québec en autobus. Il aimait particulièrement les voyages contre les Foreurs de Val-d'or et les Huskies de Rouyn-Noranda. Des nuits entières à traverser l'interminable parc de La Vérendrye.» 

Feuille de route

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Mission encre noire 15 mars
Émission du 15 mars 2022
Mission encre noire Tome 33 Chapitre 377. Prendre lieu de Karine Légeron paru en 2022 aux éditions Leméac. Les mains qui courent sur le bois sec et gris, fatigué de vent, de soleil et de sel de la mer pourraient aussi bien appartenir à Kelig Le Floch, à la veuve du capitaine Hugh Talbot Burgoyne ou bien encore à ce fils venu accompagné son père pour disperser les cendres d’un grand-père basque disparu trop tôt. Car voilà, Iels veulent voir cette côte monstrueuse, cette terre d’Espagne, nommée la costa da Morte, sur la côte galicienne, avec son rivage exposé directement à l’océan, là où commence le royaume des morts. Il suffirait, dit-on, de poser son front sur un rocher pour entendre les voix des nombreux naufragé.e.s. Les époques, les identités, les personnages s’agglomèrent et s’entrelacent, en autant de masques, derrière lesquels se dissimulent les sentiments de l’autrice. C'est la voix du passé, qui traverse cette écriture habile et sensible. En Galice ou ailleurs, l'autrice écrit sous influence. Celle des gens et surtout celle des lieux qui charrient des souvenirs: ceux de l’enfance, des paysages marins, ceux qui inspirent, à Montréal, autour du Carré Saint-Louis, ceux qu’on laisse derrière soi, malgré-nous, une maison familiale, un ancien amant. La mémoire s’égarera, sans doute, en quête de rituels à jamais disparu où l’éclat du réel reprend son dû. Érigé dans une perspective géopoétique, ce recueil est une invitation à découvrir nos territoires intimes, à traverser ces endroits qui nous bouleversent, à lutter contre les éléments et pour l'autrice, y puiser une formidable énergie créatrice qui lui fait dire: «Moi, minuscule mais tellement forte, Tellement vivante.» J’accueille, ce soir, Karine Légeron à Mission encre noire. Extrait:« Je suis rentrée. C'est ce que je dis maintenant, que je suis rentrée, comme on rentre à la maison ou chez soi, comme on revient à quelque chose de primordial. J'habite la ville et elle m'habite, nous en sommes là. J'ai parfois le sentiment qu'elle m'occupe tout entière, comme on est habité par une musique indélogeable ou une passion, et qu'elle me définit un peu ; ce sentiment m'autorise à rentrer à Montréal. Mais d'autres jours elle me rejette, et je m'y sens étrangère. Déplacée. Ces jours-là, je n'ai nulle part où rentrer. Je suis revenue depuis près d'un mois et Montréal me repousse. Entre là bas quitté et ici pas encore retrouvé, j'ai l'impression de vivre dans la fissure d'un entre-deux. Je ne retrouve pas ma place, mes repères. Ce qui coulait, fluide, accroche et contrarie. M'assaille, presque. j'avais oublié à quel point tout est bruyant, ici. L'océan ne se tait jamais, lui non plus, mais son bruit est répétitif et apaisant, à l'opposé du vacarme ininterrompu que génère la ville. Tout parle, tout hurle, tout m'agresse.» La revue Moebius 172, dirigée par Jennifer Bélanger et Alex Noël. «Il faut que tu ruines tout» est la citation-thème de ce nouveau numéro. Elle est tirée de L'amour à peu près de Dionne Brand (traduction de Nicole Côté), paru en 2017 aux éditions Triptyque. Comme à son habitude, la revue littéraire québécoise nous prouve encore une fois toute la richesse et la diversité des formes et des écritures d'ici. Si le contexte de la pandémie se débloque doucement, le poids de l'actualité mondiale, et en particulier l'ajout de celui de la guerre en Ukraine, tombent à propos pour encadrer la lecture de cette nouvelle édition. Les imaginaires des auteurices regroupé.e.s dans ce numéro 172 attestent de la gravité d'un monde qui part à vau-l'eau ou témoignent des ruines qui érodent leur quotidien. Que trouve-t-on au milieu des décombres ? Comment survivre aux violences qui nous assaillent encore au présent ? Comment réinventer les liens familiaux ou amoureux sur une terre dévastée? écrire sur les ruines, c'est penser à l'après, c'est aussi faire éclater les cadres établis, comme faire grandir en soi l'insurrection nécessaire pour pasticher rachel lamoureux, présente dans ce numéro. Jennifer Bélanger et Alex Noël sont invité.e, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« ma mère ne sait pas que la solitude qui nous accable est souvent celle que l'on s'est faite. elle ne sait pas que j'ai hérité de ses définitions déficientes, de ses mécanismes mortifères, que j'ai payé très cher des spécialistes afin de nommer en moi tout ce qui venait de là, d'entourer la crevasse d'un ruban jaune, de la condamner comme une zone inhabitable. il est possible, semble-t-il, si l'envie nous prend de vivre, de contourner ces lieux qui nous ont fondé.e.s, d'éradiquer en soi ce qui minait notre identité, car, vraiment, il est difficile de penser que l'on mérite respect et tendresse quand, de soi, l'on ne perçoit que cette béance faite de ressentiment d'inquiétude et de colère. je pensais que j'étais malade, malade de l'esprit, que mon corps déraillait, me trahissait, qu'il devait exister un remède à cela, une chimie du cerveau, une médication, une étiquette, un rien qui saurait justifier ce trouble, cette incohérence, cette aberration que je traînais un peu partout, en classe, au lit, à la table, ce corps de rien brûlant d'une hargne qui m'a fait connaître le sentiment d'injustice hors de toute loi. je suis au-delà de la loi, de l'ordre, je suis un enfant du chaos, car un parent absent est sans autorité, un parent qui n'accourt pas dans les moments de détresse se départit de toute crédibilité dans les moments d'allégresse. un parent qui n'agit pas en parent est illégitime. un parent négligent, avare ou calculateur est un parent destitué. je suis un enfant anarchique, un enfant révolté, à ne pas m'éduquer, l'on a fait grandir en moi l'insurrection.»    
60 min
Mission encre noire 02 mars
Émission du 1 mars 2022
Mission encre noire Tome 33 Chapitre 376. Corps rebelle, réflexions sur la Grossophobie par Gabrielle Lisa Collard autrice du blogue Dix Octobre paru en 2021 aux éditions Québec Amérique. Depuis l'année où le blogue Dix Octobre a été lancé, Gabrielle Lisa Collard a constaté plusieurs changements. L'industrie des régimes a perdu de sa crédibilité, une communauté soudée a vu le jour et une éditrice lui a demandé de publier ses textes dans un livre. L'aventure de Dix octobre (la date de sa fête) a débuté le 09 mai 2016 pour s'achever au printemps 2020. Si ce livre existe, ce n’est surtout pas pour vous dire quoi faire, mais plutôt pour constater la triste vérité. Il faut le reconnaître: nous sommes tout.e.s grossophobes. Nous entretenons activement des préjugés négatifs qui mènent invariablement à une forme d’apartheid anti-gros. Pour le dire autrement, le corps est notre pire ennemi. Ceci étant dit, la grossophobie est partout. Comme si être gros était inacceptable. L’autrice le déclare haut et fort, il n’y a rien de mal à l'être, personne ne choisit de le devenir. Vous avez le droit d’être gros. Il est urgent de prendre conscience d’un phénomène encore tabou, qui nous ronge en profondeur. Nous retournons le miroir vers nous, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Lisa Collard est notre invité. Extrait:« On se sent mieux quand on pèse moins, aussi temporaire cet état soit-il, est-ce que c'est vraiment en raison du poids en moins, ou plutôt des effets bénéfiques de l'activité physique, du renforcement positif, des compliments, d'une saine alimentation, de l'approbation de nos pairs et du sentiment d'enfin avoir le droit d'exister et de s'aimer ? Parallèlement, savez-vous ce qui nuit concrètement à la santé ? La honte, la stigmatisation, la grossophobie médicale, les troubles alimentaires, les problèmes d'image corporelle et le stress, qui ont tous en commun d'être infligés aux personnes grosses par leur entourage et leur environnement. Pas par leur poids. Prendre soin de sa santé et maigrir sont deux quêtes radicalement différentes ; la première étant un choix personnel que chacun peut aborder de la façon qui lui convient et la seconde, boring as fuck. Vouloir maigrir, c'est boring. Les régimes sont d'un ennui mortel. Hiérarchiser les corps selon leur taille, comme si mince égalait forcément plus beau, plus en santé ou plus acceptable ? Yawn. On est tellement plus que notre apparence.» Ce qui nous lie, l’indépendance pour l’environnement et nos cultures, un collectif d’auteurices paru en 2021 aux éditions Écosociété sous la direction éditoriale de Sol Zanetti, avec des textes de Natasha Kanapé Fontaine, Catherine Dorion, Andrès Fontecilla, Ruba Ghazal, Christine Labrie, Alexandre Leduc, Émilise Lessard-Therrien, Vincent Marissal, Manon Massé, Gabriel Nadeau-Dubois, Michael Ottereyes. L’ensemble du corps des députés de Québec solidaire au complet se prête à un exercice de pré-campagne électorale. Chacun.e réaffirment dans de très courts textes, son adhésion au projet indépendantiste. Comme le souligne Natasha Kanapé Fontaine, en avant propos, il y a urgence à se rassembler derrière un projet commun d’envergure, tourner vers l’écologie, les cultures et la solidarité pour ralentir les effets des changements climatiques. 25 ans après le référendum de 1995, faire du Québec un pays, n’est pas un slogan, mais bien un appel au dépassement collectif vers un projet de société porteur d’espoir, pour un plus grand nombre de personnes et qui aura l’ambition de renouer avec tous les peuples ainsi que toutes les cultures présentes sur le territoire québécois, avec les peuples autochtones. Il est temps de faire l’histoire et non de la subir. Il est temps de rêver, comme l’écrit notre invité, Sol Zanetti, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Lorsqu'on laisse la culture s'assécher, lorsque le ciment se fissure, c'est l'aliénation qui gagne nos peuples. Désunis, nous nous laissons déposséder. Nous devenons soudainement étrangers à nous-mêmes, modelés par les décisions des autres. Qui prendra les décisions qui mouleront notre avenir ? Qui décidera de ce que nous allons devenir comme peuples ? Et si la réponse était simplement: nous ? Rêver, en politique, c'est se projeter dans un horizon qui dépasse parfois ce que l'opinion de la majorité d'une époque donnée considère comme possible. Les rêves politiques sont les locomotives du progrès de l'humanité. Sans eux, nous serions condamnés à la stagnation. En cette ère de bouleversements climatiques, plusieurs doutent que nous arriverons à préserver les écosystèmes essentiels à notre survie comme espèce et une trop grande part de nos dirigeants semblent considérer impossible de mettre en place les mesures minimales pour y arriver. C'est une posture dangereuse. Le Québec ne doit surtout pas capituler et sombrer dans le pessimisme ; nous résigner à une vision trop étroite de ce qui est «possible» ou «réaliste» nous serait fatal. Nous devons à tout prix, comme d'autres l'ont fait avant nous, écouter notre audace en nous projetant au-delà de ces limites. En d'autres mots: Il y a urgence de rêver.»
60 min
Mission encre noire 16 février
Émission du 15 février 2022
Mission encre noire Tome 33 Chapitre 375. Western Spaghetti par Sara-Ànanda Fleury paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Et vous dans quelle vie vivez-vous? Interpelle Turtle dans la première des huit nouvelles qui compose ce recueil. On a beau être blanche, polie et maquillée, il faut bien nourrir sa famille malgré son compte bloqué. Arnold, lui, doit composer avec un beau-père, ancien alcoolique qui a viré évangéliste. Montréal ne devait être qu’une escale de 24 heures pour Mohamed, un jeune artiste d'origine kabyle, qui raffole de sa lumière. La ville est tellement belle. Doit-il partir ou bien rester? Trois enfants se posent même question. Ils vivent à leur manière un été brûlant sur la péninsule Bruce, entre la baie Géorgienne et le lac Huron. Une danseuse française de passage à Montréal avec sa petite famille, en profite pour revisiter son quartier préféré et ses fantômes. Un homme veuf découvre sur une série de diapositives inconnues, la double vie de sa femme décédée. Il décide de provoquer son ancien amant en duel. Wendy et Greg, deux professeurs d’urbanisme à l’université de Victoria confient l'entretien de leur maison, en leur absence, à un jeune couple improbable, qui déteste la vie ordinaire. Laura et Paul Habitent la réplique exacte d’un chalet Suisse sur l’avenue Rockland à Montréal. Leur permettra-t-il de lutter contre vents et marées. Ces admirables nouvelles révèlent les vies secrètes des familles, les trahisons, la force du lien qui les unit. Chaque expérience de vie, aussi banale soit-elle, vous rappelleront un quotidien ou des situations qui vous ressemblent étrangement. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sara-Ànanda Fleury. Extrait:«Les enfants d'ici sont initiés à la terreur. On n'invente rien, finalement, on ne fait qu'attiser les frayeurs déjà tapies dans les coins, derrière les portes et sous les lits, logées là au fond du ventre. On pétrit ces images-monstres comme des figures de pâte à sel, et il n'en faut pas plus aux habitants de la péninsule pour croire aux bêtes qui dorment dans les cavernes sous les lacs, et qui parfois remontent à la surface pour réclamer leur dû. Ainsi les années passent. Les enfants restent. Peu d'entre eux essayeront de quitter ce territoire, et encore moins nombreux sont ceux qui tenteront de traverser le lac. Tout le monde ici sait naviguer, mais personne ne sait naviguer aussi loin, ou s'ils l'ont su, ils ont appris à l'oublier. Comme le reste.» Orange Pekoe par Benoît Bordeleau paru en 2021 aux éditions de la maison en feu. C'est à travers le regard de l’enfant, que Benoit Bordeleau, réinvente le territoire de ses souvenirs. Il se remémore le défunt grand-père, les lieux habités, les objets déposés ici et là. Chaque fragment d'écriture est l'occasion d'investir un territoire nouveau et de lutter contre les engrenages de l’oubli. L’auteur redécouvre ainsi un immense plaisir à arpenter les mots, à déambuler parmi les choses, à nommer les gestes, à mettre ses pas dans ceux de son grand-père, comme dans ceux des gens ordinaire croisés dans un décor autrement plus urbain. Dans Orange Pekoe, on marche le quotidien, pas à pas. On flâne. La mémoire de l’adulte se confronte aux souvenirs de l’enfance. Délicatement, l’auteur déplie un à un des morceaux choisis d’une vie solitaire en héritage, alors rangés dans de petites boîtes de photographies. La mémoire, on la porte sous le larynx. L'écriture donne la mesure du désordre. Benoît Bordeleau est invité, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Assis dans berçante, le grand-père essaie de se souvenir à quand remonte sa connaissance de celles et ceux qui peuplent l'autour. Aucune date, aucun événement notable ne surgit à sa mémoire. Dans le recoin des petites souvenances ne lui reviennent que des grilles noires sur papier gris, parsemées de tâches bleues. Calendriers, mots-cachés? Il ne sait pas et alors il fait savoir - à qui veut l'entendre - qu'il vaut mieux avoir sous le capot des miettes d'engrenages que d'avoir dans l'oreille le ronflement constant d'un bétail depuis longtemps disparu (...) L'encombrement tient de la citadelle. Il met à disposition les fragilités - la vôtre, la mienne - et les fait s'unir, le temps de mettre l'eau à bouillir.»  
60 min
Mission encre noire 09 février
Émission du 8 février 2022
Mission encre noire Tome 33 Chapitre 374. Morel de Maxime Raymond Bock paru en 2021 aux éditions Le Cheval d’août. La première image de ce roman n’existe déjà plus, c’est celle de la page de couverture, le pont Jacques-Cartier étalé en construction. Nous n’appartenons pas à cette photo, nous sommes de ceux et celles qui empruntons le pont, depuis toujours, depuis l’oubli, depuis le futur. Pour un gars du faubourg à m’lasse cela veut dire autre chose. Ce quartier, ces maisons autour du pont, vont être rasées de près. La famille Morel, nous relie à ce quotidien ordinaire, celui des grand chantiers ouvriers, des églises, des funérailles, des ruelles, des usines désaffectées, des épiceries du coin, celui des sans-voix. Jean-Claude Morel, cet ouvrier anonyme aura creusé le métro et le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, fait surgir des autoroutes, pourtant sa demeure, sur la rue Notre-Dame sera taillée en pièce et sa famille expropriée. Sa petite-fille Catherine veut faire parler le sang, elle libérera la parole, car toute cette violence ça ne s'oublie pas. Maxime Raymond Bock raconte cette histoire, vu de l’intérieur, un fondu enchaîné sur la métamorphose de Montréal au 20 ème siècle. Il est notre invité ce soir à Mission encre noire. Extrait:« -Tu dis que ta vie est plate. Tu dois te sentir seul, aussi. Mais je suis certaine que t'as des beaux souvenirs. Tu pourrais m'en raconter un, pour commencer. Morel se garde de soupirer. Il est en effet seul avec ses souvenirs, qui ne se montrent jamais que dans le désordre. Un enchevêtrement de scènes imprévisibles qui se succèdent les unes les autres par accident, ainsi fonctionne la mémoire, avec culs-de-sac, histoires en suspens, intrigues irrésolues et disparitions inopinées, déclencheurs impromptus, relations profondes soudain devenues superficielles. Tant de détails pour tant de trous noirs. Et s'ils sont durs, ces souvenirs, c'est que la vie l'est elle-même, voilà une des rares choses desquelles il est certain, et cette certitude n'est pas sans issue d'une parole divine ni celle de quelque mortel que ce soit, mais de sa propre expérience. Si le passé a été vécu dans la difficulté, comment y revenir avec le sourire? Peut-être grâce à la sagesse. Ce mot si commun dont il ne saisit pas tout à fait la signification, sinon quand elle concerne les enfants dociles.» Quelques découvertes de lecture de confinement: Le chien de Akiz, traduit de l'allemand par Brice Germain paru en 2021 aux éditions Flammarion. Un roman truculent, drôle, on pourrait dire gargantuesque qui nous fait découvrir les arrières cours de restaurants prestigieux à travers un personnage énigmatique: le chien. Un jeune homme qui, lit-on, partage, avec Grenouille de Patrick Suskind, un destin des plus sordide. Solak par Caroline Hinault paru en 2021 aux éditions Rouergue Noir. Un polar de saison, pour celles et ceux qui aiment les huis clos tendus, où planent une menace sourde et cruelle: l'hiver éternel du cercle polaire. Vous serez pris dans les glaces dans un environnement sans pitié. Caroline Hinault vous saisie jusqu'à l'effroi pour ce premier roman, un vrai petit bijou qui ne déçoit pas jusqu'à son dénouement. Une guerre sans fin de Jean-Pierre Perrin paru en 2021 aux éditions Rivages/Noir. À travers le destin croisé de trois hommes, Jean-Pierre Perrin, grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient, rend un hommage, non seulement à une région martyre, la Syrie, mais également aux victimes. beaucoup de ces pages sont bouleversantes d'humanité. Vous serez emportés par ces trajectoires de vie folles, au milieu des bombes. À mi-chemin du polar, du thriller et du roman de guerre, cette histoire n'est pas sans évoquer d'autres descentes au coeur des ténèbres chez Joseph Conrad ou dans le froid réalisme du reportage de guerre cher à Joseph Kessel.    
60 min
Mission encre noire 02 février
Émission du 1 février 2022
Mission encre noire Tome 33 Chapitre 373. Les ombres filantes de Christian Guay-Poliquin paru en 2021 aux éditions La Peuplade. Je vous souhaite mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2022. Et pour entamer nos cycles de rencontres d’écrivaines et d’écrivains d’ici et d’ailleurs, commençons par une panne d’électricité géante, celle qui paralyse le pays depuis les trois premiers romans de Christian Guay-Poliquin. Le protagoniste de ce troisième volet avance seul, sac au dos, blessé à un genou, à travers une forêt hostile en direction du camp de chasse où sa famille à trouver refuge. Il se sait menacé. L’homme va faire la rencontre d’Olio, un orphelin d’une douzaine d’année, auquel il va finir par s’attacher comme à un fils. Loin du monde, ils vont unir leur force pour déjouer les obstacles qui ne manqueront pas de surgir. Fort du succès populaire et critique du Fil du kilomètre paru en 2014 et de celui aussi prestigieux du Poids de la neige paru en 2016 aux éditions La Peuplade, un roman couronné par les Prix du Gouverneur Général, le Prix littéraire des collégiens et traduit dans une dizaine de langues, Les ombres filantes annonce une fortune tout aussi équivalente. Je vous propose de remonter les temps anciens et de tomber sous le règne de la forêt, ce soir, à Mission encre noire en compagnie de Christian Guay-Poliquin. Extrait:« Je regarde mes mains noircies par l'huile. Elles me rappellent une vie passée, enfouie, comme le pétrole sous la terre et le temps des dinosaures. Avec la panne, je pensais que mon métier allait s'éteindre en même temps que la lumière des raffineries et des stations-services. Rien de tel finalement. Le vieux monde est tenace et, partout où j'irai, j'ai bien peur qu'il y ait toujours des moteurs à réparer. Je me ressaisis et m'attarde à la génératrice. Même problème avec le carburateur. J'évalue les scies à chaîne, pareil. Je réfléchis. C'est probablement à cause de l'essence qui s'évente. Malgré tout le stabilisateur qu'ils ont mis dans les jerricans, c'est inévitable. Pour l'instant, ça peut encore aller, mais dans quelques mois, toutes ces belles réserves de carburant ne serviront plus à rien, sinon à étrangler les moteurs.» Impromptu de Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Europe, je t'aime, moi non plus. Dans un court roman, Catherine Mavrikakis entreprend de décrire les liens affectifs qui nous rattachent au Vieux Continent et à sa «grande culture». Distillé d'une bonne dose d’humour et d'une pincée d’ironie, ce texte nous narre la rencontre surprenante entre une jeune étudiante spécialisée en littérature allemande et son professeur Mueller-Stahl, au détour d’un distributeur de billet de banque. Bien emprunté sur la manière d’utiliser le dit guichet automatique, le vieux professeur lui emprunte quelques billets. De façon assez étonnante, les tribulations nées de cette rencontre hasardeuse vont se révéler cruciales pour Caroline Akerman-Marchand . Catherine Mavrikakis en profite pour tourner en dérision ce quelque chose de la condescendance européenne qui perdure encore aujourd’hui, dans les rapports qui se tissent entre l’Europe et les autres continents, en particulier ici, au Québec. Cette satire, qui n’épargne ni les uns/unes ni les autres, permet également de se moquer de l’admiration béate des intellectuels québécois et nord américains. C'est un point de vue qui n’est pas sans rappeler le long soliloque rageur du troisième roman de l’autrice, Fleurs de crachat, dont les premières lignes vibraient de défi. Pour en savoir plus, je reçois Catherine Mavrikakis, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« C'est donc avec un immense espoir, celui d'une vie meilleure, que je me rendis à son bureau, le lendemain de ma rencontre fortuite à la banque avec le professeur Mueller-Stahl. J'avais tant à lui dire et à lui demander...Mais il avait vraisemblablement oublié notre rendez-vous et mes 50 dollars. Je revins le vendredi et me présentai à nouveau le lundi. Ce jour-là, une secrétaire bien aimable et surtout très présente, malgré les remarques de Mueller-Stahl sur l'université et son personnel, me dit que le professeur ne reviendrait qu'en septembre, qu'il était parti en Europe faire de la recherche. Je ne revis mon professeur qu'à la rentrée. Il accepta de diriger mon mémoire à condition que je cite Schlegel. Je continuais de travailler mon allemand, nous conversions dans la langue de Goethe, et ici l'expression est bien littérale, puisque je m'adonnais au Hochdeutsch sorti tout droit des textes du XIXe siècle, du romantisme et du préromantisme. Néanmoins, je n'eus jamais le courage de demander à Karlheinz Mueller-Stahl mes 50 dollars. C'était une somme importante pour moi qui n'avais pas un sou. Mais comment demander au spécialiste de la littérature romantique de penser à ma situation financière? À mes 50 dollars, il ne songea bien sûr jamais.»
60 min