Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 2 mai 2023

Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d’ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu’était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l’usine Weston. Elle, c’est Val, sa future collègue que l’adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d’être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d’un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu’à travers le miroir aveugle de l’écran noir d’un cellulaire. Mathieu n’a rien de différent des autres, si ce n’est l’élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l’aventure épisodique, très attachante, d’un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay.

Extrait Pas de doute, j'étais un poète. Je sais pas pourquoi je l'oubliais des fois d'ailleurs. Une chance que Dom était là pour me le rappeler souvent. Lui, il en était un, sûr et certain. Ou non, peut-être que Dom était plus un philosophe? Un peu des deux je pense. C'est normal, il est plus vieux que moi. Mais moi, poète, ça me suffisait depuis que j'avais découvert que je l'étais. C'est sûr que j'avais pas écrit grand-chose cet été, mais ça amoindrissait pas ma vraie nature. Tout est là, dans ma tête. Ça va sortir en temps et lieu. Une tête bien faîte, comme disait le Français de Dom, c'est là-dessus que je travaillais cet été. Il fallait que je montre à Val que j'étais détaché des choses d'ici-bas. Qu'il y avait une douve entre le monde et moi. Elle verrait combien je suis sensible et profond. J'ai botché ma clope et je suis rentré. À l'intérieur, Val me regardait les bras croisés. Comme je me sentais rougir en marchant, j'ai compensé en la regardant droit dans les yeux. Elle a souri. Moi aussi. Je suis passé derrière le comptoir et j'ai croisé un bras comme elle. Une minute a passé. Il y avait personne dans le magasin, personne aux pompes. Ça me prenait toute mon énergie pour m'empêcher de rompre le silence. Les choses d'ici-bas ne me font rien. Une douve. Une tranchée. Ne pas parler. Mais ça a payé. C'est elle qui l'a fait d'abord. Fak ? J'ai ri un peu. Je me suis gratté la joue et je me suis tourné vers elle.»

Domaine Lilium par Michael Blum paru en 2023 aux éditions Héliotrope dans la collection Noir. Dan Katz Débarque à l’aéroport CDG pour faire des recherches pour écrire un livre d'architecture autour de l'histoire concentrationnaire. Il s'intéresse plus particulièrement à la cité de la Muette en banlieue parisienne. Un lieu qui a tour à tour joué le rôle d’habitat social moderne, d’internement sous l’occupation nazie, caserne de gendarmes puis de HLM. Ses passeports israélien et canadiens, lui permettent de voyager sans trop de problème pour compléter ses enquêtes. À travers les archives, il découvre la responsabilité du lieutenant de gendarmerie Henri Cannac dans la torture et la déportation de ses grands-parents. Joseph et sa femme Colette sont parmi les mille déportés du convoi numéro 57 du 18 juillet 1943. Si Henri est décédé depuis longtemps, son petit-fils, lui, sévit encore, à la tête du Parti de la France. La tentation est grande de lui faire payer les exactions de la famille, même si, à lui-seul, le petit gendarme ne peut être tenu responsable de l’holocauste. Pourtant la méticulosité et l'acharnement de Katz vont lui révéler les curieux projets du politicien. Notamment celui qui implique des intérêts fonciers au Québec. Katz prend tous les risques pour déjouer ses plans, y compris celui d’y laisser sa peau. À force de naviguer dans les eaux sombres de la masse mouvante de l’histoire, Katz nous dévoile les traits d’un visage reconnaissable entre tous, toujours autant d’actualité, celui de la haine de l’autre. Je vous propose de vous laisser chavirer par ce percutant roman noir, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Michael Blum.

ExtraitDes décisions devaient être prises même s'il ne parvenait pas encore à les formuler. L'envie de sortir pour décanter ses idées s'imposa à lui. Il remonta la rue Auguste-Blanqui, puis prit Henri-Barbusse à droite et Gaston-Landry, qui devenait Sacco et Vanzetti un bloc plus loin. La banlieue rouge et ses odonymes à la gloire d'une gauche encore debout lui plaisaient. En continuant tout droit sur Maxime-Gorki, il remarqua, après quinze minutes de marche, que ses pensées commençaient à se mettre en mouvement. À l'évidence, il ne trouverait rien en googlant Henri Cannac, à moins que sa vie ait été documentée post mortem. Katz voulait connaître les grandes lignes de son CV après la guerre, particulièrement savoir s'il s'était engagé en Indochine ou en Algérie pour continuer à abuser de l'immunité conférée par le képi. D'autres gendarmes de Drancy avaient eu cette idée, à commencer par leur chef, Marcellin vieux, celui qui revint en France de son exil argentin pour aller massacrer des algériens. Katz voulait en savoir plus sur cette crapule que même ses propres hommes détestaient.»

Feuille de route

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Mission encre noire 30 novembre
Émission du 29 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 396. Les allongées par Jennifer Bélanger et Martine Delvaux paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Les deux autrices confessent être prise en otage par des douleurs et des fatigues chroniques, si brutales parfois, à vous laisser le souffle court. Comment témoigner de ce qui échappe au regard, de ce qui ne se partage pas,voire jamais ? À quoi ressemble le monde vu d’un lit, cet étrange objet, lieu grave s’il en est, lieu de naissance, de passion, de désir, de mort, de souffrance et aussi d’oubli. Car voilà, comment peux-t-on avoir une vie quand on la subit couchée? Martine Delvaux et Jennifer Bélanger s’entourent d’autres femmes, écrivaines, artistes, amies, mères, filles, amantes et soignantes pour rendre hommage à toutes celles qui plient sans doute un peu plus chaque jour sous le poids de leur plaies et blessures ; les accidentées, les insomniaques, les survivantes et qu’on invisibilise encore trop souvent. Les voix de ces femmes qui luttent, se rebellent, s’arc-boutent devant un monde qui préfère les reléguer aux rôles de paresseuses, d’hystériques ou de martyres cinglent les pages de ce court essai. Même si leurs corps les obligent à ralentir, les deux autrices ne renoncent surtout pas à redonner une voix à celles laissées pour mortes. Pour toute une famille élargie de résistantes, il reste le rêve et l’écriture d’autres récits, j’accueille, à Mission encre noire, Jennifer Bélanger et Martine Delvaux.
60 min
Mission encre noire 23 novembre
Émission du 22 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 395. J’étais un héros de Sophie Bienvenu paru en 2022 aux éditions Le Cheval d’août. Yvan, 62 ans et Miche, sa colocataire-sa blonde, se retrouvent démuni.e.s aux urgences d’un hôpital pour recevoir un diagnostic sans appel. Yvan a passé sa vie à se détruire, Miche aussi d’ailleurs, étant devenue alcoolique comme lui. Il est tout seul, il l’a toujours été, sa vie aura été ça : un amas d’affaire ratées et d’occasions perdues. Ça fait 20 ans qu’il n’a pas revue Gabrielle, sa fille. Il ne lui a même jamais donner son numéro de téléphone.Que pourraient-ils se dire de toute manière? Pourtant dans le temps, il était son héros. C'est lui qui le dit. Son rire d'enfant faisait de lui un surhomme. Heureusement, aujourd'hui il lui reste encore un chat trouvé dans les poubelles et Miche qui l'ennuie. Il fait ce qui lui tente l'animal, il est libre, il est maître de son destin. Ça lui plaît ça, à Yvan. Rien n'est moins vrai. Sophie Bienvenu nous dévoile le portrait d’un homme blanc, d’un baby boomer, prisonnier des rôles qu’il s’est imposé. Il vient d'une génération qui se sait malhabile avec les émotions et qui préfère encore les silences ou les baisers de feu de l’ivresse pour colmater les cicatrices du passé. Enfant quand on a le goût de pleurer devant Lassie, de jouer avec les petites filles à la poupée, et, plus tard, de vouloir porter des pantalons rouges comme Bowie, ça marque quand même son homme. Que reste-t-il de tout cela au final? Comment enfin prendre la parole avec sa fille? Peut-on pardonner après si longtemps? Je reçois Sophie Bienvenu, ce soir à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 09 novembre
Émission du 8 novembre 2022
Mission encre noire Tome 36, Chapitre 394. Niagara par Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Ici nous sommes en présence de la voix de la narratrice au pied des célèbres chutes, l'eau et ses remous se déchaînent. Elle guette encore au bord du parapet l’apparition improbable de la silhouette fantomatique de sa mère, morte depuis belle lurette, dérivant au long des rives des grands fleuves du continent américain. Car voilà, ce deuil, éveille en elle, un rêve insensé, que ce soit à partir des photos de son enfance, lors d’une première visite à Niagara en 1964, ou bien à la suite d'une citation de marguerite Duras, la narratrice voit encore et encore, le corps aimant disparaître sous les écumes et rejoindre les berges du Mississippi. Marquée par le séisme provoqué par cette perte, elle y puise une inspiration inédite, qui, sur le modèle de François-René de Châteaubriant, ou est-ce peut-être Flaubert, Mallarmé ou même Jeff Buckley et bien d’autres, lui permet d’élaborer de véritables Mémoires d’outre-tombe. Se dessine, alors, sous la plume espiègle et badine de l’autrice, un portrait tout aussi jouissif que douloureux, de ce qui fonde, il faut bien se l’avouer, un héritage littéraire. Plouf, donc, sillonnant le territoire nord américain des songes, Catherine Mavrikakis s’amuse à dégringoler ces chutes, car c’est à Niagara qu’elle contracté la maladie de la mort. De quoi s’agit-il au juste? J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Catherine Mavrikakis.
60 min
Mission encre noire 18 octobre
Émission du 18 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 393. Candy par Benjamin Gagnon Chainey paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Lorsque la nuit se drape de faux-semblants, Candy, drag queen, multiplie les numéros au cabaret Rocambole à Villecresnes. Dans sa loge, elle se prépare à la gloire, à danser et à chanter en pleine lumière. Thierry meurt un peu plus chaque nuit pour laisser éclore la glamoureuse étoile qui naît sous les yeux ébahis de la foule en délire. Et si le cabaret commence à bander, c’est pour son Mathurin qu’elle tremble. C’est pour lui qu’elle chante, c’est pour lui qu’elle va fuir ces bas-fonds. Mathurin et sa femme fatale vont se déguiser en courant d’air et mettre le cap sur le paradis en talons haut. Une ombre distordue les attend, cependant, au détour d’une rue. Une hideuse vieillarde, porteuse de malheur, qui ricane et toussote. Ils commettront leur premier meurtre. Déclarés coupables, les amants briseront pourtant leur chaîne et ils s’uniront pour le pire car l’enfer est pavé de bonnes intentions. Conte d’amour pour adultes et vacciné.e.s, cette cavale du tonnerre déroule son tapis rouge avec style et emphase, dans les plis duquel, il se pourrait, que l’éternelle Divine de Jean Genet se prenne les pieds. Candy, la vie contée d’une Notre-Dame-des-Fleurs enceinte d’un fruit d’amour impossible, devient un fascinant lieu de passages entre les identités, la réalité et la fantasmagorie. En route, donc, pour l’Eden. Faites gicler strass et paillettes, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Benjamin Gagnon Chainey.
60 min
Mission encre noire 11 octobre
Émission du 11 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 392. Que notre joie demeure par Kevin Lambert paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Céline Wachowski jette un regard circulaire sur les invité.e.s. sous l'immense lustre qui pend au plafond. Le Mont-Royal est à deux pas à vol d'oiseau, on pourrait le toucher. Lorsque l’on est une des femmes les plus influentes du monde, il faut se méfier du quand-dira-t-on, ce sont des choses à considérer. Surtout que le complexe montréalais Webuy est sur le point d’être inauguré. Pure produit des Ateliers C/W, situé au 305 rue Bellechasse, cet immense projet suscite bon nombre de critique au Québec. Cette femme de 70 ans qui anime une série culte sur Netflix, dont le portrait est croqué par Joan Didion dans le Harper’s Bazaar, est l’icône d’un monde bourgeois qui évolue en vase clos. Un gotha qui s'ébroue loin de vous, loin de moi, loin de la rue où la menace gronde. Cette classe dominante montréalaise, Kevin Lambert la saisie ici dans toute sa démesure et sa décadence. Sauriez-vous dire pour autant de quoi ils/elles parlent? Comment envisagent-ils/elles la vie? De quoi sont faites leurs angoisses? L’écrivain dissèque les pensées de notre jet-set au scalpel, tout en faisant jaillir l’éternelle histoire d’un capitalisme avide et destructeur. S'agirait-il de son livre le plus politique ? S'agissant de la lame de l’auteur, elle est parfaitement aiguisée et son fil est empoisonné. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Kevin Lambert.
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