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Mission encre noire

Émission du 9 janvier 2018

Mission encre noire Tome 22 Chapitre 270. Je vous présente mes meilleurs voeux pour l'année 2018. Janvier débute avec ce qui va sans doute devenir un classique du polar: L'année du Lion de Deon Meyer paru en 2017 aux éditions du Seuil. Écrit en afrikaans et en anglais, le roman, traduit par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert se situe en Afrique du sud entre le désert du Karoo et le fleuve Orange. Nicolas (le narrateur) fait le récit de l'assassinat de son père, Willem Storm. Ils comptent parmi les rares survivant d'une fièvre qui a décimé 95 % de la population mondiale. La catastrophe a provoqué de nombreuses réaction en chaîne. Chez les humains, c'est la loi de la jungle. Pourtant Willem Storm est convaincu de pouvoir bâtir un monde meilleur avec les rescapés de ce cataclysme. Malgré que la prose soit aussi rêche et aride que la majesté du paysage, l'espoir demeure. La vision de Deon Meyer n'est pas désespérée, les communautés cherchent à se reconstruire. Il y beaucoup d'humanité dans cet ambitieux projet, qui se traduit par un esprit de résistance et de solidarité. L'année du Lion est un classique en devenir, qui a l'image du continent africain, (et de l'Afrique du sud en particulier) rugit de rage et de fureur. C'est un livre qu'on ne peut pas lâcher aussi facilement. Il finira bien par trouver le chemin de votre bibliothèque, à côté de La route de Cormac McCarthy, mais pas pour les mêmes raisons. Extrait: « Je revois ces événements avec du recul. L'importance et la signification de cette scène ne me frapperont que des années plus tard. Ce jour-là, je me rendais déjà compte que c'était un moment historique, autant qu'un gosse de treize ans, affamé de compagnie, de camarades de son âge, pouvait le ressentir. Je ne réaliserais que plus tard le véritable poids du moment et des personnes impliquées. Le car de luxe est déjà garé au milieu de la rue quand j'arrive. Deux hommes descendent et avancent vers Père et Hennie As, Domingo, Mélinda Swanevelder, Béryl et les seize enfants qui les attendent dans Proteastraat. Le premier homme est âgé, il a les cheveux blancs et porte une toge blanche avec une sorte de châle doré et un chapeau bizarre. Dans sa main droite il tient une houlette en bois argenté. De la gauche, il s'appuie sur le bras d'un homme plus jeune, très impressionnant, plus grand que tous les autres et large de poitrine. Voilà ce que j'observe, ce que j'essaie de marquer dans ma mémoire pour pouvoir le raconter un jour, pour pouvoir dire que j'étais présent, que j'ai participé à cet événement. » New Moon, Café de nuit joyeux de David Dufresne paru en 2017 aux éditions du Seuil. Paris la nuit c'est fini/Paris va crever d'ennui/Paris se meurt rendez lui/Arletty. Et si Pigalle nous était conté ? C'est le pari réussi de David Dufresne. L'auteur se retourne sur son passé, il arrive dans le quartier le plus chaud de Paris en 1988, il a 20 ans. Le New Moon est le plus grand des petits clubs rock parisiens. On y croise régulièrement la crème de la scène du rock alternatif, la Mano Negra en tête. 106 m2 de bonheur et d'énergie pure qui dissimule une histoire riche et palpitante à l'image du quartier. Ouvert en 1896 sous le nom de La feuille de vigne, l'endroit changera plusieurs fois de nom et de style. David Dufresne nous offre un livre déroutant au croisement du polar, du docu/fiction et du récit historique. Excellement bien documenté, vous ne perdrez rien de l'enquête autour du lieu mythique. Vous y croiserez Manu Chao en terrasse du New Moon, Virginie Despente, son premier manuscrit sous le bras, Cole Porter, Degas, Manet...et si une nouvelle forme de journalisme était né ? Depuis 2004, le New Moon a rendu les armes à l'embourgeoisement, une épicerie bio patronne désormais sur la rue Pigalle.  Extrait: « Le Bricktop's fut le premier des cabarets de Pigalle à servir le whisky à table - jusqu'ici, on ne le faisait qu'au bar, il fallait se déplacer pour cette vulgaire boisson. La maîtresse des lieux y perdait le chic du champagne exclusif, mais elle y gagnait les écrivains. Et ils allaient se précipiter. La première fois que John Steinbeck était venu,ça avait mal commencé. Il avait dû envoyer un taxi de roses à Brick pour s'excuser de son comportement (Il ajoutera plus tard à ses fleurs ces mots: « Brick, chaque fois que tu chantes «Embraceable You», tu m'enlèves vingt ans de ma vie d'homme »). Hemingway, aussi, traînait dans les parages ; comme F. Scott Fitzgerald qui met en scène un de ses héros de Retour à Babylone devant le Bricktop's, où «il avait passé tant de temps et dépensé tant d'argent».» Le retour du Gang d'Edward Abbey paru en 2017 aux éditions Gallmeister dans la collection Nature Writing. Le Gang de la clé à molette est un livre culte. Un best seller des éditions Gallmeister paru en 2013 et illustré par Crumb. Edward Abbey, décédé en 1989, a été inhumé dans le désert, un lieu encore tenu secret aujourd'hui. Le retour du Gang est la touche finale d'une oeuvre riche, qui relève le défi de présenter le combat écologiste de l'auteur. Le gang de la clé à molette est composé de quatre personnages: de Bonnie Abbzug compagne du Doc Sarvis, médecin dans la vie, de Seldom Smith, un membre de l'église mormone et George Hayduke, vétéran du Vietnam, passionné d'armes à feu, vivant en renégat dans une grotte dans le désert avec pour seul compagnon, un féroce crotale. C'est lui qui se charge de remobiliser la troupe contre l'invasion de l'excavateur géant: Goliath. Pour sauver les déserts de l'ouest américain tous les moyens sont bons. L'auteur publie ici, un manifeste de résistance, drôle et cynique. Edward Abbey se place déjà comme une influence majeure et son style plutôt explosif est à découvrir. Extrait: « Silence. Hayducke crache par terre. Il lève les yeux et les plante dans ceux de Seldom, l'air incapable de comprendre ou de croire ou même d'entendre clairement ce que son vieux pote lui dit. Tout ce que Seldom voit du regard d'hayducke sont ces deux petits points rouges, comme les diodes de mise sous tension d'une mystérieuse machine nocturne. Comme deux tisons luisant dans un feu qui se meurt. Comme...comme les faibles feux arrières d'un train fou qui s'en va, au loin, pour ne jamais revenir. Un simple souffle de réalité peut éteindre, pour toujours, d'un moment à l'autre, ces deux rubis d'espoir. » Naissance d'une jungle de Nancy Huston paru en 2017 aux éditions de l'Aube collection Le Un en livre. Le Un est un journal d'enquête et d'idées, indépendant, sans publicité qui rassemble sous la direction de l'écrivain Éric Fottorino, chaque semaine des écrivains, artistes, journaliste et des chercheurs, pour éclairer sur un thème en particulier lié à l'actualité. Vous connaissez sans doute déjà la plume parfois acérée de l'écrivaine. Ses prises de positions, au risque de déplaire, permettent le plus souvent d'insuffler une nouvelle dynamique dans les débats. Nancy Huston tire le signal d'alarme sur les dérives de la pensée dominante, primitive, qui a pris le pouvoir un peu partout et particulièrement aux USA. On appelle cela le règne de la jungle. Au fil de la lecture des cinq textes disponibles dans cet ouvrage, l'autrice interroge notre capacité à nous décentrer, pour si possible déplacer notre point de vue sur le monde. Extrait: « Aujourd'hui, leur prolixité m'épuise. Tant d'arrogance, tant d'agressivité! Comment font-ils pour ne pas entendre leur propre morgue? Regardez ceux qui, derrière les guichets des maries, postes et administrations, accueillent les citoyens: c'était bien la peine de faire la Révolution pour se voir encore traité ainsi de haut! Véritablement elle est guindée cette langue française, et induit des attitudes guindées. »  

Feuille de route

Tous les épisodes

Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min