Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 8 mai 2018

Mission encre noire Tome 22 Chapitre 282. Corps sous la direction de Chloé Savoie-Bernard paru en 2018 aux éditions Triptyque. Vous le regardez un peu chaque jour, vous le palpez, vous l'aimez ou le détestez, or nos peaux, nos muscles, nos nerfs, vous demeurent un mystère. Le corps est examiné sous toutes ses coutures dans ce recueil qui rassemble des grands noms de la littérature québécoise contemporaine. Chloé Savoie-Bernard se demande comment faire en sorte que ces corps qui nous habitent ou qui habitent ce recueil nous ressemblent ? Comment réclamer un regard sur soi et les autres qui en veut davantage que le simple constat biologique ou l'appel à la séduction ? On se laisse porter par les plumes talentueuses qui captent des moments d'habitation du corps, les à-côtés, le souvenir, les regrets, la souffrance, l'amertume, l'espoir, la concupiscence, la perte, la colère tumultueuse ou apaisée des amours défuntes. Chloé Savoie-Bernard est de passage à Mission encre noire pour en parler. Extraits: «Anticiper, prévoir le pire au premier signe d'étrangeté ou de changement corporel me rapproche de ceux qui cherchent à contrôler l'incontrôlable, qui refusent d'être pris au dépourvu par les aléas de la vie. On trouve des noms pour décrire ces gens: «pessimistes», «angoissés», «paranoïaques», «Hypocondriaques». Je pense à eux et me dis que ces mots qu'on leur accole ne sont que des écrans qui masquent ce qui se cache derrière les paniques et les questions incessantes: une envie impérieuse, douloureuse, de se voir un peu mieux, de renverser l'enveloppe de chair et de sang afin de vérifier qu'on y est en sécurité. En d'autres mots, un besoin de s'assurer qu'on dépérit à un rythme normal, en toute connaissance de cause, et pas selon des termes qui ne sont pas les nôtres.» Les biffins de Marc Villard paru en 2018 aux éditions Joelle Losfeld. Il fait froid sur Paname, l'humidité et le brouillard envahissent le soir les quais de Seine. Cécile arpente les rues de la capitale avec le Samu social. Elle s'occupe des sans-abris, des démunis, des gens qui vivent en marge. Tout son temps y passe, elle connaît son monde, tous ces vieux soldats de la rue, en particuliers ceux qui ont connu son père, le saxophoniste surnommé Bird. De guerre lasse, fatiguée, elle rejoint une autre association qui s'occupe des biffins, ces vendeurs en tout genre qui vivotent du côté de Saint-Ouen, au-delà du périphérique. La mort subite d'un SDF va bousculer l'équilibre fragile de son quotidien. Marc Villard humanise la rue crasseuse et plonge un regard noir et d'un réalisme stupéfiant sur la rue parisienne. Extrait: «À peine entrée dans le logement, je me rends compte que j'ai le temps de dormir. Le briefing du coordinateur ne commence qu'à 20 h 30. Je retire mes croquenots et me glisse sous la couette. Saint-Michel. Les caméras de surveillance captent les marches insensées que certains commencent dès l'aube dans les couloirs de correspondance. Le but est simple, échapper au froid et ne pas se faire choper par les flics du métro. Mais je sais à quoi ils pensent. Ils veulent dormir, désespérément, qu'on leur foute la paix pour qu'ils puissent dormir et oublier toute la dureté du quotidien, la survie permanente et la quête effrénée de trucs à bouffer ou à boire.» Animal Boy de Karim Madani paru en 2018 aux éditions Serpents à plumes. 13 novembre 2015. Paris. Le concert des Eagles of Death Metal vient de commencer. Alex croise quatre types qui portent de grosses doudounes à l'entrée. Toxico, il traîne aux abords de la salle de spectacle du Bataclan à la recherche de son prochain fix. Tout va très vite, les scènes de cauchemars gore se succèdent. Une jeune femme d'à peine 25 ans se retrouve dans ses bras. Elle a une large plaie au cou. Elle décède quelques instants plus tard, alors que la police et les infirmiers interviennent. Alex, junkie en manque devient malgré lui un survivant et compte bien profiter de la situation. Premier roman à s'emparer des événements de cette nuit tragique, Animal boy, titre tiré d'un album des Ramones, est un roman furieusement punk, à la vision décalquée et décapante de la jeunesse marginale parisienne. Karim Madani élabore un style d'écriture inventif, aussi énergique et déjanté que ses personnages. La violence initiale de l'attentat du Bataclan propage son onde de choc jusqu'au dénouement: No Future. Extrait: «La nuit est longue comme les jambes d'un mannequin slovaque cocaïné. Alex est transporté d'urgence à l'Hôtel-Dieu, avec tous les autres blessés et estropiés. Une infirmière lui refile du rab de codéine et les néons, les murs blancs aveuglants et l'odeur écoeurante des couloirs aseptisés lui semblent soudain moins agressifs. les flics et les pompiers cavalent dans les corridors borgnes. Alex est allongé sur un de ces lits roulants aux roues grinçantes, juste à côté d'un jeune gonze qui s'est pris une balle dans l'estomac et qui attend que les blocs opératoires se libèrent. Sauf que cette saloperie de balle n'attend pas. Elle glisse le long de la paroi intestinale. Le gonze tourne la tête vers Alex. Les brancards ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Le gonze ressemble à Andy Warhol, mais en plus enveloppé. Il a encore ses lunettes à grosse monture sur le nez, détail qui semble incroyable à Alex. Il essaie de dire un truc à Alex. Mais de sa bouche aux lèvres fines ne sortent que borborygmes sanglants. Il fixe Alex de ses yeux vitreux.»   Agenda: 14 mai The Melvins au Théatre Corona à Montréal.

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min