Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 3 juillet 2018

Tome 23 Chapitre 287 Mission encre noire Une émission spéciale polar cette semaine. Missing: Germany de Don Winslow traduit par Philippe Loubat-Delranc paru en 2018 aux éditions du Seuil. Frank Decker est pris, une nouvelle fois, dans un couloir obscur. Un de ces fameux «entonnoirs de la mort», un jeu fatal de pile ou face pour vous ou ceux qui vous suivent. Nous sommes pour un temps, à Miami, en Floride. Decker retrouve son frère d'arme, Charlie Sprague dont la femme, Kim a disparu. Il part à sa recherche. Bien vite il se trouve à être confronté à un circuit de prostitution clandestin de la mafia russe en Europe. La visite des arrières cours allemandes ne sera pas de tout repos. Don Winslow renoue, ici avec le genre classique, en s'inspirant d'un personnage de Raymond Chandler. Toujours aussi pertinent à nous révéler l'envers du décor, après Cartel, l'auteur s'attaque cette fois-ci aux mécanismes de la mafia russe. Trahison et miroir aux alouettes, ce n'est pas à un vieux singe que l'on apprend à faire des grimaces. Decker a aperçu un rai de lumière sous la porte du couloir. Il n'a que quelques secondes. Chopin. Il entre. Frank Decker retrouve des personnes disparues. Extrait:« On nous appelait une «unité d'élite» - doux euphémisme. Nous étions des tueurs. D'abord nous partions en mission faire des repérages sur le terrain afin de localiser nos cibles, puis nous y retournions pour  les «éliminer». Nous nous entraînions exprès pour le faire, et nous le faisions. Au fusil à lunette, au pistolet, au couteau, à mains nues, tous les moyens étaient bons. À mon retour aux États-Unis, j'avais raconté à tout le monde, même à Laura, que j'avais fait partie d'une «unité d'élite», et les gens se le tenait pour dit - de toute façon, personne n'avait envie de parler de l'Irak. Mais Charlie et moi savions les actes que nous y avions commis. On se racontera ce qu'on voudra, mais «la guerre contre le terrorisme», c'est ce genre de conflit. Des assassinats en série.» 7/13 de Jacques Saussey paru en 2018 aux éditions Toucan noir. Hiver 2015, deux cadavres sont découvert. Un dans le nord de la France, l'autre par l'identité judiciaire dans une maison cossue en banlieue parisienne. Daniel Magne est en charge de l'enquête, il y a un détail inédit qui le chicote. La Lieutenante Lisa Heslin, sa compagne, à la ville, se remet péniblement de leur dernière aventure. Elle aussi bute sur des broutilles. L'intrigue qui se dessine ici, se déploie subtilement, vers d'autres territoires orageux. En 1944 alors qu'il pleut sur l'Angleterre, un homme déjà célèbre s'apprête à devenir une énigme non résolue de l'Histoire. C'est à partir des souvenirs de la seconde guerre, de son père, que Jacques Saussey manoeuvre en eaux troubles. Les enquêteurs du quai des Orfèvres vont devoir trouver des liens tragiques entre un mystère époustouflant datant de la guerre et deux des sujets les plus brûlant de l'époque. Vérifiez bien votre porte d'entrée, une dernière fois, avant de dévorer 7/13. Les romans de Jacques Saussey se passent près de chez vous. Extrait:«Le type qui nous ouvre la porte au premier coup de sonnette a l'air de tout sauf d'un criminel, mais je me méfie toujours de cette première impression qui peut marquer une enquête de son empreinte indélébile. Les tueurs les plus endurcis se dissimulent parfois sous les atours de l'innocence la plus pure. ce sont les plus dangereux, les plus difficiles à appréhender. pas rasé, et apparemment pas lavé non plus, l'homme se tient dans l'encadrement dela porte en chaussons et en peignoir, une cigarette au bout des doigts, aussi emprunté que s'il se retrouvait soudain tout nu en plein milieu des Galeries Lafayette à l'heure du déjeuner. Je prends du recul, examine son visage désemparé qui se met à pendouiller sous des yeux cernés par l'angoisse. à nos mines d'enterrement, il a déjà compris qu'i est désormais veuf. J'observe Pelletier du coin de l'oeil. Il se tient en retrait, le regard vif posé sur l'expression ravagée du type qui ne sait pas s'il doit nous faire entrer ou s'écrouler sur le paillasson.» En sacrifice à Moloch de Asa Larsson traduit par Caroline Berg paru en 2017 aux éditions Albin Michel. Un thriller scandinave de haute tenue par une auteure qui a grandit près du cercle polaire arctique, star du polar suédois. Tuer un ours dans ces contrées arides et crépusculaires, ce n'est pas surprenant, l'animal renifle depuis toujours près des villages. Y retrouver les restes d'un homme dans sa panse l'est beaucoup plus. L'avocate Rebecka Martinsson s'allie à son ami Krister Eriksson accompagné de leur chiens pour remonter le cour du temps. Kiruna, ville minière champignon du début du vingtième siècle, va être le théatre d'événements qui auront des répercutions jusque dans l'estomac du grand ursidé. Les deux compagnons devront lutter, non seulement, contre une étrange malédiction qui frappe une famille, mais aussi se confronter à l'arrogance de l'ambitieux chef d'instruction revanchard: Carl Von Post. Fausses pistes et poursuites haletantes, Asa Larsson expose un pan de l'histoire de son pays, au prise avec un pouvoir discrétionnaire, machiste et puritain. Extrait: «On est à la fin du mois de mai 1915. Mademoiselle Elina Pettersson revient de l'auditorium où l'on vient de donner une projection du film d'Isaac Grünewald, réservé aux adultes, dans lequel il danse le one-step. Nombreux sont ceux qui dénigrent le one-step, le jugeant choquant et répugnant, et qui l'accusent de dénaturer la danse, une activité qui se doit de rester l'expression saine et naturelle de la joie de vivre. les mêmes esprits chagrins conseillent à toute personne ayant la responsabilité d'enfants et désireuse de les cultiver et de leur inculquer une éducation distinguée, y compris dans le domaine du divertissement, de bannir résolument cette gymnastique obscène du cercle familial. Isaac Grünewald leur répond par le biais cinématographique, défendant ardemment son propos en dansant devant la caméra avec sa propre épouse. C'est la danse de la jeunesse, dit-il. Tout comme le tango. Et toute chose nouvelle est d'abord perçue comme indécente et inesthétique. Qu'y-a-t-il de plus indécent en effet que l'art moderne? Questionne-t-il ?»  Stand by Saison 1 Tome 2 de Bruno Pellegrino, Aude Seigne, Daniel Vuataz paru en 2018 aux éditions Zoé. Voici la suite de Stand By, du collectif de l'AJAR, association de jeunes écrivain-e-s suisses. Remettre la verve et l'énergie du feuilleton au goût du jour, sous la forme dynamique d'épisodes à l'image de vos séries favorites. Retrouvons Alix qui non seulement ne part plus pour New York et échappe de peu à un attentat en Gare de Lyon à Paris. Vasco accompagné de Nora et Virgile, arrivent, enfin à destination dans ce Monténégro qui a le parfum tragique des souvenirs d'enfance. Rebondissement spectaculaire au Groenland, où la jeune équipe européenne de recherche sur le climat, se trouve en mauvaise posture alors que l'arrivée de l'hiver menace. Ce qui est génial dans ce projet: observer la collision des récits d'auteur-e-s qui se donnent comme contrainte première, l'irruption dévastatrice d'un volcan dans la baie de Naples aux conséquences écologiques et humanitaires au niveau planétaire. Partant de ce postulat, l'expérience se charge de bousculer les clichés du genre et de livrer un projet foisonnant d'idées et multipliant les styles d'écritures. Extrait: «Le vent glisse le long de T1 - tente allongée dont la structure voûtée amplifie les hululements, les rends presque mélodiques, humains. Des voix, murmurées, émanent de plusieurs endroits, mais le vacarme du dehors les sépare, les coupe les unes des autres, interdit aux Green Teens de constituer un seul clan. Pascaline et Florence étaient à bout de souffle en arrivant ici, elles se sont littéralement effondrées à quelques mètres du camp, à côté du corps inanimé d'Éric. Luca est debout au milieu de la tente, les regards convergent vers lui. Un stéthoscope autour du cou et une main gantée sur la poitrine d'Éric, il écoute les poumons se remplir avec difficulté, se vider en sifflant, sinistre redondance des bourrasques qui balaient l'extérieur. L'instructeur a le visage violacé.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min