Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 24 juillet 2018

Mission encre noire Tome 23 Chapitre 288 Qui a tué mon père d'Édouard Louis paru en 2018 aux éditions du Seuil. Ce livre est présent sur toutes les tribunes ou presque et c'est tant mieux. Édouard Louis creuse le même sillon autobiographique entamé depuis Eddy Bellegueule (Seuil 2014) et Histoire de la violence (Seuil 2016), il propose avec ce troisième roman un texte fort, court, radical: L'état est meurtrier. Soyons clair, Qui a tué mon père relate dans les grandes lignes, l'histoire de la violence étatique faîtes au corps de son père. Pour y arriver, l'auteur dresse le portrait d'un homme brisé par le système. Qui, au mieux tente d'y échapper et renonce de guerre lasse. Cet échec laisse des traces qui marqueront le déroulement de la vie de l'écrivain. Entre pudeur et colère froide ce récit est une catharsis sensible qui s'attache à démonter le socle d'un machisme malade. À force de se souvenir de ce qu'il n'a pas dit à son père, ce qu'il n'a jamais dit, Édouard Louis laisse la parole se déverser. Oui, il accuse les dominants de mépriser les classes populaires, d'ignorer les dégâts que causent leurs décisions politiques. Ce livre est un diamant brut aux arêtes coupantes, C'est quoi être masculin aujourd'hui si ce qui précède est raté ? Si ce livre est un acte de résistance, êtes-vous prêt-e camarades ? Réapproprions-nous le corps politique pour réapprendre à danser ! Livre indispensable. Extrait: « Peter Handke dit: «devant tous les événements ma mère semblait être là, bouche ouverte.» Toi tu n'étais pas là. Tu n'avais même pas la bouche ouverte parce que tu avais perdu le luxe de l'étonnement et de l'épouvante, plus rien n'était inattendu parce que tu n'attendais plus rien, plus rien n'était violent puisque la violence, tu ne l'appelais pas violence, tu l'appelais la vie, tu ne l'appelais pas, elle était là, elle était.» Mato Grosso de Ian Manook Paru en 2017 aux éditions Albin Michel. Que reste-t-il de nos amours ? Jacques Haret revient au Brésil après trente ans d'exil. Un pays qu'il connaît bien et qui l'a ensorcelé. Ou était-ce plutôt Angèle/Blanche ? Dans la moiteur folle du Mato Grosso, ou au coeur de l'état de Rio de Janeiro, l'aventurier va croiser des aventuriers, des trafiquants, des flics corrompus et autres tueurs à gage qui vont alimenter une histoire faussement innocente. Figueiras, son hôte, le sait parfaitement bien. Se pourrait-il que Haret s'inspire de l'illustre écrivain autrichien Stefan Zweig venu s'échouer une dernière fois avec sa femme Lotte, sur les terres sauvages des jacarès et des sucuris ? Au risque que les ficelles de ce polar intriguant ne s'enroulent autour de vos poignets, l'immersion en pleine brousse brésilienne, brutale et infréquentable, vous prouvera que l'amour est un puissant narcotique. Ian Manook nous parle de passion, d'écriture, brouille les pistes qui mènent du mensonge à la vérité. Méfiez-vous, tout de même du caïman qui veille ! Extrait: « - Je vais vous tuer, Monsieur l'écrivain, parce que vous ne méritez plus vraiment de vivre à présent. Martinho trouvera votre corps demain matin, le livre à côté de vous, et en lisant la dédicace il comprendra. Je vais vous battre comme vous avez abattu Everaldo, et nous aurons enfin écrit la fin de cette misérable histoire. Mais auparavant, pour que vous compreniez bien à quel point vous le méritez, vous allez vous asseoir à cette table et nous faire la lecture à haute voix de ce que vous avez pompeusement appelé Un roman brésilien. Nous avons toute la nuit pour cela, prenez votre temps, tout votre temps, car vous ne mourrez qu'à la fin. Lisez sans vous arrêter. Buvez si vous avez la bouche sèche mais lisez, sinon je vous tue.» Tout est brisé de William Boyle paru en 2017 aux éditions Gallmeister traduit par Simon Baril. Bensonhurst un quartier du sud de Brooklyn, Erica est assistante de direction dans un cabinet d'urologie depuis vingt-cinq ans. Elle vient de transférer son père au centre de rééducation St Joachim & Anne de Coney Island pour se remettre d'une pneumonie. Son fils unique, qui avait fui le giron familial, est de retour, alcoolique et physiquement dans un état lamentable. Même si elle sourit à l'idée de voir Jimmy à la messe avec elle, elle aussi est hantée par les mêmes souvenirs. Il est loin le temps où son fils croyait que les fourmis rouge vivaient dans les livres et les jardins. Encensé pour son livre précédent, Gravesend, William Boyle revient au même décor. Le fond de l'air est d'une beauté sombre. Cette chronique de la vie ordinaire d'une famille de la middle class américaine, un peu paumée, est aussi magnétique, que l'attachement qui relie la mère, le fils et leur quartier. Vous débarquez à LaGuardia et l'impression d'être recraché sur un trottoir pour vous faire écraser sous la botte de quelqu'un vous assaille. Erica ne renoncera pas ! Extrait: « Lorsque Erica se mit à somnoler à la table, Jimmy et Frank montèrent à l'étage avec le scotch. Jimmy s'attendait presque à ce qu'Erica les rappelle à l'ordre, comme à l'époque où il était lycéen, mais elle s'éclipsa dans le salon, se blottissant sur le canapé avec la couverture à carreaux rouges et noirs dont se servait la grand-mère de Jimmy pour se couvrir les jambes quand elle regardait des rediffusions d'Arabesque ou de Columbo. En passant, Frank prit l'exemplaire de Lettres à un étranger posé sur une des marches. Dans la chambre de Jimmy, Frank s'assit près du radiateur et contempla l'affiche de Jeff Buckley. Jimmy alluma l'appareil stéréo. Live at Sin-é se trouvait encore dans le lecteur ; l'album reprit au milieu de la chanson «Drown in My Own Tears».» Jeanne forever de Stéphanie Filion et Valérie Forgues paru en 2018 aux éditions Le lézard amoureux. Et si la vie de Jeanne Moreau vous était contée? Ou plutôt, si vous acceptiez l'invitation de revisiter son oeuvre à travers la matière de ses personnages les plus marquants? Ce splendide recueil de poésie est un hommage sensuel et lumineux aux différents visages de la féminité qui nous file entre les doigts, illustré par les nombreuses vignettes cinématographiques récoltées au fil des pages. Un écrin de dentelles soie et coton ici esquissé, là une moustache célèbre est  convoquée pour déjouer les pièges qui guettent la condition féminine. Jeanne et quelques mots plus loin vont se glisser sur votre peau, sur votre visage, sur vos mains, et y laisser une empreinte, un regard. En quelques moments sublimes, Valérie Forgues et Stéphanie Filion dévisse le socle du mythe. Vous êtes Jeanne aux mille visages, vous êtes Jeanne forever. Somptueux ! Extrait: « Elle est un Napoléon de dentelle/une chatte déguisée en homme/qui court sa vie sur une passerelle/passe haut la main l'épreuve de la rue/elle hypnotise/elle est sans manières/faite pour l'amour/pour défoncer les portes/lentement/la moustache qu'elle s'est dessinée/s'efface.»  

Feuille de route

Tous les épisodes

Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min