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Mission encre noire

Émission du 23 octobre 2018

Mission encre noire Tome 24 Chapitre 293. Les bains électriques de Jean-Michel Fortier paru en 2018 aux éditions La mèche. Renée n'a jamais rêvé ! Pourtant, certaines des villageoises, telle Céleste, jurent l'avoir croisé, somnambule dans la forêt, la nuit. C'est que La vieillissante Madame Sainte-Colombe lui a confié un ouvrage au titre bien curieux: La science des rêves. Louise Beurre dit Louisa Louis revient d'un périple de plus de dix ans de part le monde à la suite d'un cirque puis d'une troupe de théatre, en tout cas c'est ce qu'elle raconte. Elle est sans le sou et redécouvre son village, ses rumeurs et une sororité tissée serrée autour de Rénée lépine, sa grande amie, Belle Guénette, Céleste, Margot, Ginou et la veuve Clot. Passant leur soirée à taper des jeux de cartes, les femmes tiennent le fort au village. Employée au magasin général, veuve, logeuse ou domestique, aucune n'occupe un emploi aussi picaresque que Rénée: gardienne de bains électriques. Roman d'une fantaisie créatrice rafraîchissante, Les bains électriques, emprunte à plusieurs registres, celui du polar, du conte et du fantastique. Je vous propose de coudre et découdre le style truculent de l'auteur, Jean-Michel Fortier est notre invité.  Extrait: «Céleste la malingre rentrait toujours chez elle en coupant par la forêt. Elle-même branche, elle évoluait aisément dans les bois drus du comté. Deux fois plus rapide que la route, ce raccourci, car la route contournait tout le village avant de filer vers Spencer Wood, Une fois qu'elle avait traversé la forêt - les arbres meublaient une bande d'une largeur d'un mille - elle jaillissait sur son terrain tel un diablotin, à une centaine de pieds de sa maison. À force de coudre et de découdre le chemin, Céleste empruntait le même axe exactement, toujours. Elle ressentait rarement la peur. Pour n'avoir jamais connu de réel danger, tout d'abord, mais aussi pour n'avoir jamais redouté la mort. C'était le grand repos, qui viendrait après la grande besogne. Tout le contraire de sa défunte mère, qui l'avait toujours accueillie en sursautant, «Ma Céleste, c'est toi, je pensais que tu étais morte», elle chignait jadis, une goutte au bout du nez, penchée au-dessus d'une marmite.» Néons et Sakuras de Alice Michaud-Lapointe et Ginette Michaud paru en 2018 aux éditions Héliotrope. En japonais, Nihon signifie Japon, Hounou: offrandes. C'est un peu l'idée insolite de ce carnet de voyage, où l'échange intime d'une mère et sa fille, à travers l'écrit, au pays du soleil levant, rencontre les trajectoires brisées de la découverte d'une culture qui ébranle les sens. Les deux autrices s'étaient fait la promesse de regarder les fleurs de cerisiers lors de l'Hanami. Le japon s'offre alors à vous sous plusieurs aspects insolites, des Sampurus en vitrines, l'omniprésence des masques sur les visages, l'histoire de la statue du chien Hachikô, le dîner spectacle Teppanyaki, les yeux pénétrant d'un robot nommé Pepper. Agrémenté d'anecdotes délicieuses et de réflexions personnelles, ce carnet nous permet de mordre à pleine dents dans cette expérience du voyage à deux. Dans la proximité imaginaire du tableau de Kanagawa (1831), La grande vague, j'accueille Alice Michaud-Lapointe à Mission encre noire. Extrait: «Ce que je mange, chair crue ou cuite, revient me mordre, me dévorer. Manger l'autre, c'est ingérer, intérioriser, incorporer, et c'est toujours par la bouche, celle qui parle aussi, que se manifeste cette limite ambivalente, soudain exacerbée quand on se retrouve en pays inconnu. L'oralité - la faim, la langue - est le moment de la vérité, la bouche de la vérité, là où le désir de l'autre s'ouvre...se ferme. Nous ne voulons pas trop penser à ce qui se passe en nous une fois introduit, mâché, sucé le corps étranger. L'autre qui nous met l'eau à la bouche, l'autre, le même parfois, qui nous soulève le coeur de dégoût. Manger vivant, manger l'autre en tant que vivant, cette pensée ne cesse de rôder et de nous hanter ici.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min