Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 14 novembre 2017

Mission encre noire Tome 21 Chapitre 265 Le corps des bêtes d'Audrée Wilhelmy paru en 2017 aux éditions Leméac. Mie du haut de ses douze ans veut apprendre «le sexe des humains». Mie ressent tout, en attendant, elle emprunte le corps des bêtes. Elle imagine la saillie de la grue, elle caresse son ventre. Après Oss paru en 2011 aux éditions Leméac et Les sangs en 2013, l'auteure nous revient avec un univers unique. La famille borya fuit la pauvreté et s'installe sur un bout de terre surmonté par un phare. Noé, seule étrangère, forme un couple avec l'aîné des cinq fils. C'est elle qui donne naissance à Mie. Le corps des bêtes est un roman dense et foisonnant de trouvailles narratives où la regression animale n'est qu'un aspect spectaculaire et jouissif. Cette histoire teste les limites de la morale, pour mieux la contourner et rendre possible une autre lecture du monde qui nous entoure. Je reçois Audrée Wilhelmy pour en parler à Mission encre noire. Extrait:«Et, plus tard, Mie est un ours. Cette fois, elle choisit le mâle qui chasse. Avec lui, elle a pisté une femelle pendant des jours, nids et toilette ; elle a analysé les odeurs, combattu les rivaux, éloigné les rejetons de la dernière ventrée. Elle ne mange plus. Elle flaire. Elle traque. Ses pieds lourds brisent les troncs morts sur le sol ; les feuilles de juin bruissent sous ses pas. Depuis le matin, l'ourse a accepté son approche. C'est dit dans les coulées d'urine que Mie hume sur les pins. Longtemps, elle planifie son abord, enfin l'autre est là, grasse, dispose.» Manikanetish de Naomi Fontaine paru en 2017 aux éditions Mémoire d'encrier. Manikanetish, petite fleur, c'est le nom de l'école construite maladroitement dans le village de Uashat, sur la côte Nord. Yammie revient sur sa terre natale pour y enseigner le français. Quinze ans sépare le moment du départ avec sa mère vers le sud et celui du retour. On l'appelle «Madame», Yammie évite de parler innu également, à cause de sa mauvaise syntaxe et de son accent de Blanche. Elle a tout laissé pour venir ici, même son amoureux du bas-du-fleuve aux yeux bleus tendres et aux épaules larges. Naomi Fontaine déverse de l'amour sur cette communauté oubliée de tous. Un récit poignant qui dresse parfois un constat, malgré tout, d'impuissance. Manikanetish est un deuxième roman très réussi. Extrait:«Manikanetish. Il y a vingt ans de ça, ils ont bâti une école sur la rue centrale de la réserve. Sur le terrain vague voisin de la patinoire et du stade de baseball, La première construction en brique, Et ils lui ont donné le nom de Manikanetish, Petite Marguerite, à la mémoire d'une femme décédée quelques années avant le début des travaux. La Petite Marguerite n'avait jamais porté d'enfant, ce qui avaient perdu leurs parents, ceux qui avaient été donnés, trop nombreux à la maison, les enfants difficiles, ceux qui au lieu d'être placés sous la garde de l'État, ont trouvé refuge dans son nid, Petite, dans le corps d'une préadolescente. Du coup, infiniment grande. Le Créateur joue parfois à contredire sa créature.» L'année prochaine à New York Dylan avant Dylan d'Antoine Billot paru aux éditions Arléa. Et si on racontait Bob Dylan comme vous ne l'avez jamais lu ? Sa rencontre avec Woody Guthrie, on se la garde pour la fin! Commençons par le début, en 1905, alors que les cosaques envahissent les rues, tuent femmes et enfants, pillent et égorgent les hommes. Zigman Zisel Zimmerman ferme brusquement une fenêtre sous la clameur vive de la rue. Il se joint avec femme et enfants aux familles Greenstein, Solemovitz pour enclencher la main invisible du destin: direction l'Amérique. Antoine Billot nous hâte de rejoindre l'antichambre de l'histoire d'un futur prix Nobel de littérature en prélevant dans la sève intime des fracas qui secouent le continent du nouveau monde. Dylan avant Dylan est un tour de force narratif magistral, l'auteur n'a pas son pareil pour piocher dans l'essence romanesque au coeur des faits historiques. Comment ce type arrivé immigrant soixante dix ans plus tôt, au physique court et fluet, va-t-il devenir le porte drapeau des valeurs d'une des nation les plus emblématique de la planète ? Extrait:«La chaussée est glissante, les roues de la Harley n'accrochent qu'à contrecoeur le bitume verglacé, il accélère encore et encore tandis que le sifflet déchirant du train lui rappelle la corne de brume des bateaux sur le lac Superior et, avec elle, le sourire enfumé d'Ana Chana, il accélère alors en fermant les yeux quand il faudrait freiner à mort, se coucher au plus vite sur le pavé, se laisser glisser en priant afin que l'amplitude cinétique de la chute n'entraîne pas la machine au-delà des rails, il faudrait céder mais Robert Allen n'entend pas interrompre son rêve, c'est que son sang, celui des Zimmerman des Solemovitz des Greenstein des Edelstein, un sang de réprouvé, d'émigré, d'outlaw, le convainc peut-être qu'il faut toujours partir, s'enfuir et choisir la fugue la course l'errance jusqu'au bord du précipice plutôt que l'attente faussement quiète dans la marmite tiède du destin.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min