Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 12 juin 2018

Mission encre noire Tome 23 Chapitre 285 Front criminel, Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours de Benoît Tadié paru en 2018 aux éditions PUF. Le polar est un genre majeur de la littérature aujourd'hui. Un livre sur quatre est un polar. Le genre s'est très vite popularisé aux États-unis, en réaction à l'avènement d'une société industrielle qui édifie sa fortune sur un état d'esprit très éloigné de ses pères fondateurs.  Le polar c'est le «soleil noir» qui se lève sur ce monde. Benoît Tadié s'immerge dans cet univers de violence sociale pour nous raconter son histoire du polar américain. L'ouvrage regorge de références inédites, d'écrivain-e-s à redécouvrir, l'auteur nous ouvre la voie vers les arcanes d'une littérature subversive et innovatrice. Dashiell Hammett, Chester Himes, Raymond Chandler, Jim Thompson êtes-vous là ? Nous recevons Benoît Tadié à Mission encre noire pour faire tourner les tables et parler aux fantômes légendaires du polar américain. Extrait: «Ce qui se perd dans ce jeu de métamorphoses, c'est l'essence de l'individu et des choses, leur identité, leur intégrité, dans un univers où l'apparence prend le pas sur l'essence, où le character disparaît au profit d'une personality interchangeable, qu'on peut acheter ou fabriquer de toutes pièces. Le discours intérieur de Philip Marlowe, qui déconstruit la machine à falsifier de Hollywood, est lui-même une manifestation de ce character: sa résistance à une civilisation mensongère est le vrai sujet des récits de Chandler.» La mort du petit coeur de Daniel Woodrell paru en 2018 aux éditions Rivages/Noir. Pour reprendre la classification de Benoît Tadié, ce roman culte américain, republié chez Rivages, est à classer entre le Tobacco road façon Erskin Caldwell et la chronique noire de James Ellroy. La violence sociale qui s'exprime dans ce Missouri rural est l'image d'une Amérique abîmée dans ses rêves de grandeur. Shug traverse son adolescence sur un fil. Son père/beau-père, Red Akins est un truand à la petite semaine. Il sort de prison. Avec Basil Powney, les deux lascars parachèvent l'éducation de Shuggy à force de braquages minables pour trouver de la drogue ou de l'alcool. ce n'est pas la famille improbable Akins qui y changera grand-chose. Sa mère le pourra-t-elle, l'envoûtante Glenda ? Personnage fantastique et symbolique de cette Amérique déchue, le couple Glenda/Shuggy incarne le crépuscule de la famille idéale américaine. Le rêve américain est mort, le saviez-vous ? oserez-vous y croire ? Attention, Denis Lehane vous aura prévenu: « Je ne connais personne qui ait lu ce roman et qui n'ait été saisi et transformé par lui.» Extrait: «Nous n'avons jamais eu peur, Glenda et moi, de vivre à proximité du champ des morts de notre bourgade, vu que nous ne leur avons jamais fait de crasses. C'était l'idée générale, tout du moins. Et Glenda l,a ressassée je ne sais combien de fois, aussi loin que je me rappelle. Elle le répétait particulièrement fréquemment quand j'étais petit, à l'heure où j'allais me coucher: « Ils sont tous sous terre, chéri, et ils n'ont rien contre toi.» Toutes nos fenêtres, y compris celle qui se trouvait près de mon lit, donnaient sur ces tombes. Il me semble que toutes les aubes et tous les crépuscules que j'ai passé à les contempler depuis cette fenêtre me poussaient de plus en plus à la solitude et à la malfaisance. Il y avait aussi des chênes majestueux et des pins sentinelles dans ce cimetière, et des écureuils cavalaient librement au milieu des trépassés, mais ce sont ces funèbres rangées de tombes qui impriment le plus durablement leur marque dans votre mémoire. C'est très exactement ce qu'on voit en les regardant: les morts d'hier et d'avant hier, les morts d'aujourd'hui, et tous ceux qui sont morts dans l'intervalle.» Quand se lève le brouillard rouge de Robin Cook paru en 2018 aux éditions Rivages/Noir. Cette fois-ci nous sommes en Angleterre, avec Robin Cook, le plus francophile des écrivains britanniques qui nous a quitté en 1994. Quand se lève le brouillard rouge est son ultime roman, republié aux éditions Rivages. Gust sort de prison. Pour tenter de se refaire la cerise rapidement, il accepte un dernier casse: mettre la main sur deux mille passeports britanniques qui valent son pesant d'or sur le marché noir. Alors que les cadavres s'empilent autour de lui, Gust voit son destin se lier, avec celui d'ex-agents du KGB, de la pègre londonienne, de son ex-amoureuse Petal, les services secret britanniques ou d'un étrange policier, qu'il a, pour fâcheuse habitude de rencontrer dans des bars mal famés. Oubliez l'internet ou le cellulaire dans ce Londres des années 90! Robin Cook n'a pas son pareil pour décrire la descente aux enfers d'un homme, qui y vit déjà. Même si la saleté des bas fonds de la capitale vous rebute, sachez que l'auteur rive son clou à une société Thatcherienne qu'il déteste. Gust lance son avis de défaite cinglant: Je suis cette Angleterre, c'est moi. Et ça fait mal. Robin Cook un écrivain à lire d'urgence. Extrait: «Gust sortit dans l'après-midi ; il pleuvait à verse. Les rares SDF de Frith Street restaient accroupis sous les entrées d'immeubles, le plus loin possible de la rue, immobiles sous leurs couvertures, leurs sacs en plastique près de leurs genoux, le regard fixé sur une autre planète ; des cadres pressés pataugeaient à la recherche d'un taxi, le Standard sur la tête. mais Gust ne faisait pas attention à la pluie. Il avait besoin de réfléchir, et cela lui était plus facile à l'extérieur que dans l'appartement, où tout lui rappelait Petal. Elle incarnait un certain aspect de la situation où il se trouvait ; mais il y avait un autre aspect - Manny, Sladen - qu'il ne parvenait pas à cerner. S'il voulait s'en sortir indemne, il allait devoir comprendre ce qui lui arrivait, et surtout ne pas se tromper dans ses conclusions.»

Feuille de route

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Mission encre noire 25 avril
Émission du 25 avril 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l’isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l’augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d’une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu’une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l’écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d’autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s’est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil.
60 min
Mission encre noire 28 mars
Émission du 28 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 14 mars
Émission du 14 mars 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
60 min
Mission encre noire 01 mars
Émission du 28 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu’il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d’une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n’a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s’instaurer. Ils ont en commun d’avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout. Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d’une génération engluée dans l’héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d’édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d’un Paris qui a disparu. Cette ville, qu’elles connaissent si bien, n’est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d’autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.
60 min
Mission encre noire 15 février
Émission du 14 février 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s’il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu’ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l’enfance, Il va lui raconter sa vie d’errance. Une obsession l'accable sans cesse. L’idée persistante qu’une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l’étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir. Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l’auteur cette part d’étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d’hallucination, d’égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire.
60 min