Éditorial

Quelques valises et un Tombak

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24 janvier 2022
É DITO 24 janvier1
Éditorial: Quelques valises et un Tombak
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Assise à même le sol, sur un tapis assez grand pour que deux enfants, deux adultes et moi-même soyons installés en tailleur, je prends le thé avec la famille Niazi. L’écho est omniprésent dans le 4 ½ de Côte-des-Neiges. C’est que, depuis le déménagement en septembre, Boroumand a été accaparé par l’école et sa femme, Mitra, par son emploi. Avec des journées de 15h d’étude pour lui et le travail comme boulangère au Métro pour elle, en plus de l’apprentissage du français et de l’aide au devoir des enfants, ils n’ont pas encore trouvé le temps de magasiner un sofa, une table à manger ou des lits. L’essentiel de leur interaction se déroule donc sur le tapis du salon.

Boroumand est étudiant à la Polytechnique de Montréal. Il quitte l’Iran pour enménager au Québec avec sa femme et ses deux enfants quelques semaines à peine avant la rentrée scolaire de septembre. Autant dans la préparation à son arrivée que dans ses démarches pour s’installer dans la métropole, le père de famille iranien n’a reçu que très peu de soutien de la part de son institution d’enseignement supérieur. Il ne s’en est jamais plaint.

Comme dans bien des secteurs, un brouillard bureaucratique semble planer sur le système scolaire, rendant difficile l’accompagnement des étudiants étrangers. Il existe bel et bien des ressources en ligne, notamment des webinaires expliquant le fonctionnement de Kijiji et d’Airbnb. Or, dans ce système d’accompagnement uniforme et impersonnel, on tient pour acquis que tous les étudiants sont au même niveau de familiarité avec la langue, les codes, les interactions. On présume que dans une recherche d’appartement sur marketplace, quelqu’un qui se nomme Broumand Niazi a les mêmes chances d’obtenir une réponse d’un propriétaire - probablement inconscient de ses biais - que quelqu’un qui s’appelle Jean Tremblay ou même François Dupont…

Il est évident que l’arrivée au pays demande un plus grand soutien de la part du personnel universitaire pour certains et certaines que pour d’autres. Les ressources en ligne, les tutoriels et les webinaires ne sont pas suffisants.

L’histoire de Boroumand en est l’exemple parfait. Nous sommes en août 2021, les quarantaines de 14 jours sont encore imposées à tous les voyageurs entrant au Canada. L’hôtel est très dispendieux, et après deux nuitées qui totalisent plus de 1000$, Niazi et sa femme emménagent dans un logement temporaire déjà meublé. Il le loue pour un mois seulement, le temps de trouver quelque chose de plus permanent et abordable.

On lui assure que la connexion internet est comprise dans le prix de location, ce qui est essentiel, car la famille doit remplir des formulaires de santé chaque jour sur le site du gouvernement, en plus de trouver un fournisseur de téléphonie, ouvrir des comptes bancaires, souscrire à la RAMQ, obtenir des numéros d’assurance sociale, trouver un appartement et inscrire les enfants à l’école. Tout ça, avant de commencer l’université.

À leur arrivée au logement, l’internet ne fonctionne pas. Ils sont pris dans leur studio en quarantaine sans moyen de communication.

Par chance, Boroumand avait déjà terminé une année complète de scolarité à la Polytechnique à distance en Iran. Avant son départ, il a contacté Ali, un camarade également originaire d’Iran rencontré virtuellement dans un cours, pour lui demander de lui rendre un service : faire une première épicerie pour sa famille.

N’ayant aucune nouvelle de Boroumand depuis son départ de l’Iran, Ali est inquiet. Il se rend au logement pour porter l’épicerie avec sa femme et comprend que la connexion internet ne fonctionne pas.

Que serait-il arrivé si Boroumand n’avait pas déjà eu Ali comme premier contact?

Tous les étudiants et toutes les étudiantes n’arrivent pas avec les mêmes référents, le même bagage, les mêmes ressources externes à l’administration scolaire. En discutant avec Éric Doré, directeur du service aux étudiants de la Polytechnique, j’ai constaté un manque évident de communication entre les différentes instances qui servent de ressources pour les étudiants étrangers et étudiantes étrangères.

Un jour, une personne qui souhaite garder l’anonymat a signifié à l’administration son angoisse grandissante alors que la date de départ approchait à grand pas et qu’elle n’était pas en mesure de trouver de logement. En guise de réponse, on lui a envoyé un lien vers des trucs et astuces pour trouver un appartement dans la métropole! Aucun soutien personnalisé ne lui a été proposé.

Pourtant, l’organisme Poly Explore offre un service de jumelage constitué de bénévoles pour accompagner les individus avant, pendant et après leur arrivée. Un système qui fonctionne et qui est très rassurant pour celui ou celle qui se sent submergé de nouveautés. Malheureusement, selon Isabelle Favretti, responsable à Poly Explore, le service de la vie étudiante de la Polytechnique ne renvoie pas directement un ou une étudiante en difficulté à leurs services.

Un étudiant étranger ou une étudiante étrangère paye beaucoup plus cher qu’une personne détentrice d’une résidence permanente ou citoyenneté canadienne pour recevoir une éducation dans un établissement d’enseignement supérieur. La différence de coût est plus ou moins significative dépendamment du pays d’origine. Selon le site du gouvernement du Canada, on parle de frais annuels moyens de 32 000$, soit cinq fois ce que payent les Canadiens et Canadiennes.

À eux seuls et elles seules, les étudiants étrangers et étudiantes étrangères payent près de la moitié de tous les droits de scolarité et génèrent autour de 4 milliards de dollars aux universités canadiennes (selon les plus récentes données de 2017-2018)

Boroumand débourse près de 800$ par crédit universitaire. À trois crédits par cours, cinq cours par session, deux sessions par années, c’est un peu moins de 25 000$ par années de frais de scolarité pour être accueilli à la Polytechnique, mais quel accueil lui réserve-t-on réellement, je me le demande…