Nouveau v379
Mission encre noire

Émission du 4 mai 2021

Mission encre noire Tome 31 Chapitre 357. Le fond des choses de Thomas Desaulniers-Brousseau paru en 2021 aux éditions Les herbes rouges. Un jeune journaliste plonge dans le récit sordide du passé pédophile d'un éminent peintre national  Michel S. Painchaud. Sans toutefois réaliser l'ampleur que cela prendrait, il se sent, malgré lui, investi d'une mission. Il profite de son accointance avec le biographe, un ancien professeur à l’université, pour s’emparer du sujet. Ravi d’échapper à son angoissante solitude et son sentiment de vide, il rejoint une victime dans un village aux environs de Thetford Mines. Promis à une brillante carrière dans le journalisme, rien n'est simple, le narrateur oscille, alors, un peu plus entre désespoir sans fond et un optimisme immodéré. Comment rapporter avec justesse les propos de cette personne? Le journaliste semble se perdre en conjectures devant le succès croissant de son enquête. Le sujet, ici, ne vous y trompez pas, sert plutôt de faux-fuyant pour entamer un dialogue avec le texte, dans une métafiction qui construit, déconstruit, forme, déforme, les faits, les personnages, et permet à l’auteur de multiplier les points de vue et les angles de lecture qui interrogent le rapport de la fiction à la réalité ou bien est-ce l’inverse. Drôle et débridé ce premier roman fascine. Le fond des choses a peut-être à voir avec l'effrayante incertitude qui gronde en nous parfois, aussi difficile à saisir qu'un chat noir dans une pièce sombre. Je reçois Thomas Desaulniers-Brousseau à Mission encre noire. Extrait:« Au bout d'un moment mes paupières devenaient lourdes, et mes propres pensées prenaient le pas sur celles de Daniel ; mes yeux parcouraient les phrases sans les lire, ne percevant dans leur succession, page après page, que le tracé coulant qui les portait, ininterrompu, plus proche du sirop que du rectiligne. Comme pour la première fois depuis mon enfance - alors que, sachant lire pourtant, je scrutais chaque mot des carnets que ma mère laissait traîner partout, hypnotisé par leur forme et rien d'autre - j'étais attentif aux lettres non plus en tant que symboles, mais pour la sensualité qu'elles pouvaient exprimer. J'apprenais une chose dont j'avais toujours eu l'intuition: en s'éloignant des formes parfaites vers lesquelles on nous disait devoir tendre, les lettres perdaient en lisibilité mais acquéraient, peut-être, une sorte d'authenticité. Les pensées ne sont jamais si limpides qu'on prétend. Souvent, le chat roux étendu sur les cuisses, je m'endormais.» L’instruction par Antoine Brea paru en 2021 aux éditions Le Quartanier, dans la série QR. Patrice Favre suit les traces de son père, il sera magistrat. Nommé temporairement juge d’instruction en banlieue parisienne, le narrateur entame le parcours obligé d’un novice dans un quotidien morne et gris. Malgré le privilège de l'héritage, quelque chose craque dans l'univers du jeune homme, au contact des coulisses de la justice française. L'illusion s'effrite au contact d'un milieu froid, impersonnel, où occasionnellement les intérêts personnels s'entrecroisent avec une forme de paranoïa politique. Favre devra bien vite adopté un langage et une posture qui ne sied pas tout à fait à sa timidité et à son caractère. Le meurtre d’un détenu emprisonné pour crime sexuel va happer le juge. D’autant plus que son prédécesseur s’est suicidé, et que d’étranges rumeurs courent autour de cette singulière affaire. Le roman emprunte à la fois au documentaire et à une manière de polar. L’instruction puise allègrement sa source dans la langue judiciaire, carcérale et policière, pour décrire la vie prégnante et épuisante au cœur du système judiciaire français. Anti-polar, objet de critique de la société française contemporaine sous un angle inédit, L'instruction captive et inquiète. Au-delà de nos petits narcissismes moraux et politiques, comment ne pas prendre acte du malaise croissant de l'enquêteur pour un refus de se résigner à accepter la position qui nous a été assignée dans cette société de contrôle ?  Antoine Brea est invité à Mission encre noire. Extrait:« Christian-Hervé Maréchal était un être grand, massif, empâté mais qui en imposait, il avait le cheveu grisonnant qui tranchait avec son teint sombre, méditerranéen presque, son nom de guerre quand il prenait part à l'action de près était Nous voilà, rapport à son patronyme, a-t-il glissé dans un sourire en feignant d'espérer ne pas choquer, on sentait le policier désormais plus soucieux de ce qui se trouvait au-dessus de lui qu'au même niveau ou en dessous, et on devinait qu'il avait avec ses supérieurs, avec les gens qui servaient son ascension - les cadres du ministères, ceux de la préfecture - mais seulement avec eux des rapports d'habileté, de souplesse, d'empressement, des rapports où il s'attachait plutôt à les satisfaire qu'à parfaire sa bonne réputation par l'exercice consciencieux de ses fonctions. Il s'est excusé de devoir laisser chuinter la grosse radio posée sur l'appui d'une des fenêtres, mais une opération de démantèlement d'un réseau de trafic s'était précipitée le matin, raison pour laquelle le groupe «stupéfiants» de la Sûreté n'avait pu se rendre disponible pour un entretien, lui-même devait rester à l'écoute (un commissaire central en argot de flics c'est un œil - ce fameux œil, le redoutable emblème de la police, comme écrit Balzac - mais dans les faits c'est surtout une oreille, s'est-il gargarisé l'air matois), avec ma permission il laisserait donc le soin à Pérault et à Harounian de me présenter leur service et de me faire visiter les locaux si j'y tenais. Déjà les présentations étaient finies, il ne m'avait pas fait asseoir. Je n'en étais pas mécontent, moi qui m'étais retenu tout le temps de tousser ou d'éternuer.»

Feuille de route

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Mission encre noire 27 juin
Émission du 27 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 412. Troubles, nos ombres un collectif dirigé par Jennifer Bélanger paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. La colère ne se tarit pas dixit l’autrice. De l’élaboration de ce projet à l’été 2020, à son achèvement en 2022, Safia Nolin deviendra la bête noire des réseaux sociaux malgré son récit d’agressions subies de la part de Maripier Morin, la montée de la droite aux États-Unis et celles des conservatismes en général dans le monde, dès lors menace les droits fondamentaux des personnes minorisées. Les textes réunis ici par Jennifer Bélanger offre un espace sécuritaire à 11 artistes non seulement pour témoigner de l’urgence de dire les dangers qui guettent les personnes LGBTQ2IA+, mais également pour nous partager des récits de vie poignants. Qu’il s’agisse d’amitié, de rapports amoureux, de désirs, de colère, de résistance, Étienne Bergeron, Julie Bosman, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Martine Delvaux, Sandrine Galand, Maude Lafleur, Mael Maréchal, Roxane Nadeau, Mélanie O’Bomsawin et Justina Uribe se réunissent sous l’ombre lumineuse et créatrice de Jennifer Bélanger, qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.
60 min
Mission encre noire 06 juin
Émission du 6 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 411. Mise en forme par Mikella Nicol paru en 2023 aux éditions Le Cheval D’août. À la suite d’une rupture amoureuse encore fraîche et de l’aménagement en catastrophe chez un ami, la narratrice se jette à corps perdu dans l’entraînement physique. Malgré que son corps deviennent de plus en plus performant, la dépression gagne du terrain, il y a toujours quelque chose qui cloche. Ce qui s’impose très vite comme la seule activité encore valable à ses yeux va devenir un sujet de réflexion tenace. Et si, en dépit des injonctions bénéfiques assénées par les vidéos de fitness, les programmes de remises en forme n’étaient que la partie émergée d’une problématique plus vaste. Pour l’autrice l’idée jaillit en croisant un inconnu malveillant dans la rue. Le lien qui unit violence et beauté ne fait plus aucun doute. Ou comment l’industrie du fitness, entre autre, confirme la main mise d'une esthétique patriarcale, coloniale et fossile, sur le discours ambiant, dixit Paul B. Preciado. On peut se demander, ici, comment un tel système, qui vise la soumission collective totale des corps, se met-il en place ? Les femmes en particulier, tels des objets inoffensifs, se doivent de collaborer, bien entendu, à leur corps défendant, à des modèles hétérosexuels astreignants. Ce livre à mi-chemin de l’essai et du récit autobiographique laisse libre court à une parole qui refuse de rentrer dans le moule. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mikella Nicol.
60 min
Mission encre noire 23 mai
Émission du 23 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l’ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd’hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l’auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d’un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l’annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l’âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n’a fait que mentir. À l’époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l’auteur nous entraîne dans un étrange roman d’aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s’interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier.
60 min
Mission encre noire 16 mai
Émission du 16 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 409. Exercices de joie par Louise Dupré paru en 2023 aux éditions du Noroît. Dernier fascicule du triptyque traitant des possibilités du poétique face à l’horreur et à la détresse entamé avec Plus haut que les flammes en 2010 puis La main hantée en 2016, Exercices de joie présente la poète fébrile, les côtes friables, hantée par des rêves qui la réveillent la nuit. Toutefois Louise Dupré n'abdique pas pour autant. Elle revendique le désir de se tenir debout devant un paysage en ruines quitte à s'accrocher à ses mots comme à une bouée. Car, s'il est peut-être vain de vouloir comprendre l’envers du monde quand le temps fuit entre nos doigts, pourquoi ne pas apprivoiser les douleurs, en oublier la piqûre de l’aiguille. L’écriture, telle une veine fragile qui palpite encore, se mue en écorce revêche, pour combattre en prose et en vers. Si la suie de Birkenau ou de Auschwitz la poursuit encore, si l’ombre de la main coupable du second recueil habite encore les pages, les poèmes explorent ici une autre voie, plus apaisée. Celle de la douceur, celle de la joie, que l'autrice défini comme cet instant précieux et rare ou le cœur module ses élans. Il est du devoir de la poète de donner à voir cette faible clarté bienveillante qui conduit sa main. Certes, le cercle des poètes disparus s’agrandit un peu plus chaque jour, le monde chancelle ; non, elle ne vacillera pas ; l’autrice appartient à la généalogie des femmes qui n’ont jamais renoncé. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Louise Dupré.
60 min
Mission encre noire 02 mai
Émission du 2 mai 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d’ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu’était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l’usine Weston. Elle, c’est Val, sa future collègue que l’adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d’être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d’un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu’à travers le miroir aveugle de l’écran noir d’un cellulaire. Mathieu n’a rien de différent des autres, si ce n’est l’élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l’aventure épisodique, très attachante, d’un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay.
60 min